Auto Accusation- Théâtre studio d’Alfortville

Je suis venue. J’ai vu. J’ai réfléchi. J’ai souri. J’ai aimé. C’est à peu près sur ce format que ce soliloque écrit par Peter Handke démarre. Un homme, assis face à nous sur une scène de théâtre dépouillée de tout décor fait marche arrière sur le chemin de sa vie. Les néons puissants et l’amplification de la voix créent une ambiance étrange, propice à l’interrogatoire.

Dans ce « théâtre de parole » comme dit le prospectus du spectacle, le langage est performatif : il est le seul rouage dans la vie de cet homme qui se dévisage et s’accuse. Le langage ciselé est tourné, retourné, détourné et le sens surgit- parfois bien différent selon ce qu’on met autour d’un même mot ! Dans ce flot continu et sonore, il faut aimer se torturer l’esprit pour pouvoir apprécier le texte. J’aime le langage et sa formation de sens et l’acteur n’a eu de cesse de m’envoyer sur de fausses pistes. En commençant par sa naissance au monde puis comme animal social, j’ai cru voir un robot s’éveillant à la conscience humaine (un cauchemar qui deviendra sans doute un jour réalité). Puis malgré ses gestes mécaniques, j’ai dérivé vers d’autres références : Vendredi ou la vie sauvage, des cannibales de Montaigne, mon cours de philosophie sur « Autrui ». Puis les phrases se sont allongées, plus incisives et j’ai suivi curieuse et intriguée le cours de cette accusation. Se sont ensuite mêlés les petits larcins aux crimes et à l’immoralité. La construction du texte, mettant tout sur le même plan crée de l’absurde et de l’ironie, du rire parfois. Cet homme tantôt criminel, tantôt inconvenant paraît à la fois simplement décalé, foncièrement méchant et carrément fou. Il est pluriel, un peu nous parfois, singulier souvent… Inclassable. Il est complexe : il est Homme.

Xavier Legrand sur ce texte est assez captivant. Il s’amuse, cela se voit. Les gestes sont millimétrés, les mimiques faciales jamais laissées au hasard. La parole drue et dense coule presque sans qu’il reprenne son souffle. Il joue avec nous, occupe cet espace vide de toute sa présence. Il nous fait faux bond puis réapparaît en haut, à gauche, à droite parle dans un micro ou chuchote au mégaphone. Il nous entraîne dans sa folie oratoire en ne se départissant jamais de son « Je ». Et le jeu fait écho : c’est une pièce singulière, jubilatoire et intrigante. Mais attention : réservée aux amoureux des mots !

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