Un amour qui ne finit pas n’est ni plus ni moins qu’un exploit, une pirouette à la Sacha Guitry. Cette pièce totalement intelligible est pourtant plus absurde que du Beckett.
A priori, on va voir cette pièce sans attentes particulières, un vendredi ou samedi soir pour se divertir. Grâce à l’excellente campagne de communication dans ce « cher » métro parisien on a jeté un œil à l’affiche dans les couloirs, sur un quai. L’affiche annonce la couleur : femmes trop fardées, attitudes faussées : comique de situation en vue. « Tiens Michel Fau en homme, ça peut être cocasse ! Et si on allait voir ? ». On a tellement adoré ses interventions de travesti aux cérémonies des Molières 2011 et 2014 qu’on a du mal à l’imaginer en homme. Curiosité piquée, on se retrouve sur un siège du théâtre du très bon théâtre de l’Oeuvre.
Michel Fau, pour qui le nom d’artiste prend tout son sens, campe dans le rôle de Jean, cette fois bien homme dans son costume à bretelle bien taillé. Jean en a marre de ses maitresses dont il finit toujours par se lasser et saisi l’occasion d’une remise en forme aux bains pour tenter autre chose : cet homme lunatique se lance dans la quête de l’amour à sens unique, un amour pur et sans fin car platonique : « J’entre en amour comme en religion : je ne veux pas vous prendre car je veux vous garder ». Pour ce faire, Jean jette son dévolu sur une femme mariée « très » amoureuse de son mari qui ne veut rien avoir à faire pour cet amour-là mais concède qu’elle ne peut empêcher de se laisser aimer et permet à ce drôle de personnage qu’il lui envoie des lettres d’amour chez elle, une fois rentrés.
L’intrigue ainsi posée laisse entrevoir la succession de quiproquos et de scènes absurdes qui suivent. Sans en dévoiler les mécanismes toute la magie de cette pièce est qu’ici, c’est le langage qui domine. Un langage dans la veine de Devos comme clé de voûte au jeu d’acteur. Un délice pour qui aime la langue et ses équivoques, triturée dans tous les sens pour renverser les codes et les situations classiques. Les compagnons de Jean et de cette femme sont mis au courant de cette étrange situation : la femme veut récupérer le mari et le mari ne pas perdre sa femme. Du langage et de cet étrange quatuor amoureux jaillit le comique de situation, crée l’absurde puis le grotesque. Cette pièce est une commedia dell’arte du langage. La logique devient illogique. Les mots prennent de nouveau sens et on n’en perd pas une miette de peur de s’y perdre.
Pour sublimer le tout, le décor n’est que le prolongement du texte : si tu es blanc je suis noir, si tu penses noir je pense blanc. « L’amour est enfant de bohème » : je veux t’aimer pour moi sans que tu y prennes part, surtout garde t’en bien où je pourrais bien cesser de mon côté !
Les acteurs frôlent parfois l’excès dans le jeu, mais la portée du texte le permet : l’excès déclenche à tour de rôle le rire et la réflexion. Car on prend volontiers le pari que personne ne ressort du théâtre de l’œuvre sans s’être étonné, sans avoir ri ou esquissé un sourire, sans s’être perdu quelques secondes dans le flot des paroles, sans avoir été touché par un éclat de fulgurance dans la réflexion faite à demi-mot sur l’amour. Ou tout ça en même temps !
décor n’est que le prolongement du texte