Ouvrons de suite sur l’élément qui retient l’attention : le choix de mise en espace par Guy Cassiers du roman de Dostoïevski. Je ne parle pas réellement de « mise en scène » puisque celle-ci est remplacée par une froide juxtaposition d’écrans mettant en lien des acteurs qui par ailleurs sur scène s’ignorent la plupart du temps. Pour intriguant qu’il soit et bien réalisé, ce choix s’avère vite lassant ; soit on suit le jeu d’un acteur sur scène, comme l’excellente Dominique Blanc, et l’on ignore ses partenaires de jeu qui ne l’entourent pas physiquement soit l’on regarde l’écran pour tout saisir et l’on perd tout l’intérêt d’un spectacle vivant. Etonnant certes, mais la virtuosité nécessaire pour donner ces images laisse place à l’ennui dès qu’on a compris le truc (les comédiens de l’académie en support, tendant leurs mains gantées de noir pour créer l’illusion de la proximité).
Comme chez beaucoup de russes, la vie s’écoule au ralenti, le temps s’étire. Les costumes délavés et inquiétants participent de l’ambiance générale de déclin, évocateurs aussi des courtes journées russes. Au milieu de tout ça, le machiavélisme de Christophe Montenez dans le rôle de Nikolaï (après les Damnés, les Démons !) ne suffit pas à nous tenir en haleine. L’aspect démoniaque des autres personnages est élimé par le dispositif scénique et si parfois on croit en la noirceur de Piotr (Jérémy Lopez), c’est plus la vacuité des autres personnages qui crée cette illusion. Les Démons (athéisme, nihilisme et matérialisme) qui rongent selon Dostoïevski ce pays sont un peu faiblards. Notons cependant l’excellente performance de Claïna Clavaron, fraîche jeune première qu’on a très envie de voir distribuée sur de beaux rôles plus majeurs (excellente également dans Hansel et Gretel à voir au studio) !
En définitive, à trop vouloir en dire par la mise en image, on finit par tuer le rythme et le jeu de troupe (après tant de mois d’absence, c’est du théâtre qu’on l’on est revenu voir sur scène, pas de la vidéo !). Ce monde en déconstruction ne parvient pas à convaincre et à maintenir l’aura dramatique du roman de Dostoïevski.
A voir pour les curieux, les aficionados de la Comédie-Française, pour la qualité intrinsèque de leur jeu et leur performance qui n’en est pas moins remarquable et saluée par les applaudissements nourris en fin de spectacle mais sans s’attendre à assister à « la » pièce de l’année. Beau, mais trop froid.
Crédit photo : Bénédicte Six