Que l’existence est agréable pour deux dandys de la haute dans l’époque victorienne, quand on vit en dilettante, à prendre le thé et les sandwiches au concombre, à organiser des dîners et s’inventer des faux frères malades pour battre la campagne (ou rejoindre la ville). Bien sûr, il faut être né, avoir des ascendants présentables, avoir des biens, comme le fera comprendre lady Bracknell à Constant d’un air pincé. Alors qu’il ose prétendre la main de sa fille Gwendoline sans figurer pas sur sa liste des partis envisagés ! Au grand désespoir de celle-ci, qui ne peut avoir de l’inclination, sinon de la passion, que pour un homme répondant au prénom de « Constant ».
Constant, qui a tant parlé de sa pupille Cecily à son ami Algernon, a donné envie à celui-ci de faire la connaissance de cette belle enfant. Le « rat des villes » Algernon s’introduit alors sous un faux nom sur la propriété du « rat des champs » Constant, connu à la campagne sous le prénom de Jack, et tombe aussitôt amoureux de la donzelle. La suite n’est que quiproquo que nous vous laisserons le soin de découvrir dans cette comédie aigre-douce théâtre Hebertot.
Disons juste que lady Bracknell mènera la danse et qu’Oscar Wilde en profite pour montrer tous les atours et aussi les travers hypocrites de cette belle société victorienne tout en mondanités. Son propos, sous couvert de légèreté et d’humour britannique, est mordant. Le dérèglement de la belle ordonnance de ce monde passe par des velléités d’émancipation des demoiselles, par la mise à nu des motivations pécuniaires de la mère, par l’inconsistance des hommes; tout le monde en prend pour son grade. L’insolence d’une jeunesse capable de subvertir les conventions sociales étouffantes de l’ère victorienne est ici sujet à remue-ménage bien que la bienséance reste le paravent derrière lequel tout est suggéré.
Côté distribution : c’est un sans-faute ! Après avoir déjà endossé le rôle d’Algernon aux côtés de Mathieu Bisson en 2013 (théâtre Montparnasse), Arnaud Denis revient à « L’importance d’être Constant » (car Oscar Wilde, il ne semble jamais le quitter très longtemps – cf. « Dorian Gray » en 1997, 2016) dans le rôle de Constant et signe également la mise en scène. Arnaud Denis a visé juste, insufflant un rythme enjoué à la comédie de Wilde. Lui est parfait dans son rôle, presque candide dans son libertinage et pourtant aussi filou que son comparse Olivier Sitruck figurant un Algernon malicieux et frivole. Chez les femmes, Delphine Depardieu amène une touche de folie avec un jeu vif et exagéré juste ce qu’il faut qui lui sied parfaitement. Sa compagne de jeu Marie Coutance, propose une version de la jeunesse fougueuse et effrontée tout à fait délectable. Tous plient sous le regard de Lady Bracknell, gardienne de la bonne société et des bonnes mœurs incarnée par la très experte Evelyne Buyle. Elle est tout ce qu’il y a de versatile et de hautainement intéressée, joyeusement dédaigneuse et un poil pimbêche. On rit et partage la joie des acteurs à jouer entre eux et pour nous, public captivé.
Les mots d’esprit fusent dans ce théâtre du langage sur le langage, avec cette belle trouvaille du double sens donnant son titre à la pièce. Les Français en prennent d’ailleurs pour leur grade. Mais n’en doutez point : tout finira bien !
Servie dans un très beau décor de Jean-Michel Adam et des costumes style années folles de Pauline Yaoua Zurini d’une grande élégance, cette comédie du théâtre anglais au jeu enlevé et au ton irrévérencieux a vraiment tout pour plaire. Une soirée de théâtre comme on est en heureux de pouvoir en vivre à nouveau.
Crédit photo : Bénédicte Six