Découverte l’an dernier au théâtre du Poche-Montparnasse en disposition bi-frontale, cette pièce m’avait laissée perplexe. C’est cette fois-ci sur la scène plus ample du théâtre de l’Atelier qu’Anna Mouglalis, Xavier Legrand et Julie Brochen s’attaquent à « Mademoiselle Julie ». Sombre comme souvent chez Strindberg, cette pièce distille chez le spectateur une sensation de malaise croissant au fur et à mesure que l’étau se resserre sur Mademoiselle Julie qui dans un jeu de séduction-répulsion avec le serviteur de son père, Jean, commet l’irréparable pour une jeune femme de sa condition.
La pièce de Strindberg résonne, sombre et toujours aussi insaisissable, entre lutte de classes et lutte entre les hommes et les femmes, liant inextricablement les deux et noyant le bien et le mal dans un couffin d’injustices dont on ne sait laquelle est la plus grande et qui mérite d’être défendu.
Xavier Legrand est un Jean impitoyable et retors qui change de visage au gré du dialogue et de la tension qui s’installe entre lui et Mademoiselle Julie. Il est à la fois noble et repoussant, arriviste et sensible. Julie Brochen est une Kristin modeste et fière, pendant aux deux autres protagonistes ; son jeu plein de retenu et de docilité et de juste colère n’en fait que mieux ressortir la violence qui existe entre Julie et Jean.
Mais il y a quelque chose dans le personnage de mademoiselle Julie qu’Anna Mouglalis ne parvient pas tout à fait à refléter. Par sa présence et son interprétation, elle transforme le personnage de jeune femme taquine et méprisante en dominatrice présomptueuse et la signification de sa chute en est alors changée. Dans cette tonalité, Mademoiselle Julie n’apparaît pas comme la jeune femme réalisant l’ampleur des conséquences de sa chute mais plutôt comme une femme dévergondée qui se sait courir à sa perte depuis le début. Il n’y a plus la détresse du déshonneur mais la folie et l’aigreur du malheur. La magie du théâtre opère ainsi : parce qu’Anna Mouglalis avec sa voix grave, sa stature et sa maturité apporte avec elle son aura, l’aura de Julie s’en trouve changée. C’est une lecture novatrice du personnage mais qui s’éloigne tout de même un peu de l’essence même du rôle de Mademoiselle Julie.
Plus généralement, la mise en scène choisie par Julie Brochen (Kristin sur scène) est très évocatrice d’un univers de bourgeoisie provinciale et de grands espaces. La scénographie de Lorenzo Albani investit superbement la scène du théâtre de l’Atelier avec les grandes portes en fond de scène qui marque comme une frontière entre deux mondes. L’espace central vide ou presque et les décors en périphéries laissent aux acteurs une liberté de jeu et d’emphase qui fonctionne à merveille. C’est visuellement très beau !
Un avis contrasté et quelque peu fasciné par ce choix de mise en scène. Une bien grande surprise sur une pièce toujours aussi complexe et difficile à incarner !
crédit photo: Copyright Franck Beloncle