On s’en va- Théâtre national de Chaillot

Après Kroum l’ectoplasme, interprété par la troupe du théâtre Alexandrinski (vu au TGP en 2018), c’est avec “sur les valises, comédie en huit enterrements” remanié par Krzyszstof Warlikowski que je continue de découvrir l’œuvre de Levin, non en russe mais en polonais, à croire que les pays d’Europe de l’Est cultivent le même humour noir qu’en Israël. Ou bien ces liens viennent-ils du seul fait que Levin ait grandi à Tel Aviv dans une famille issue de rabbins hassidique de Pologne ?

Quoi qu’il en soit, un même sentiment diffus de gâchis d’existence et de mélancolie proche de l’« Ostalgie » s’en dégage.

Ici aussi, on retrouve les thèmes névralgiques et si caractéristiques de l’œuvre de Levin : une même obsession cynique pour la fuite, la vacuité de l’existence, le sur place des « petites vies », la maladie chez les jeunes générations, le coup du sort. Tout cela revient comme dans Kroum, comme une ritournelle annonçant un piège.

La pièce surtitrée en français, longue de 3h20 (avec entracte), est de longue haleine. Quelques moments sont extrêmement jouissifs comme toutes les scènes d’enterrement ou celles qui ont lieu dans le club sous l’oeil d’un dieu noir tout puissant, représenté façon hip-hop et underground avec ce petit côté Berghain désenchanté (temple techno berlinois).

Certains passages rappellent aussi la pièce « Poussière » de Lars Norén.

La lecture politique et contextualisée qui permet de comprendre le choix de Krzyszstof Warlikowski de mettre en scène ce spectacle donne une couleur un peu différente à la compréhension de la pièce. Partir ou rester ? Partir pour quoi et pour où ? Pour quelle quête et quel monde meilleur ? Tout cela faisant écho par détournement à l’actualité politique polonaise car c’est ici la troupe des excellents comédiens du Nowy Teatr crée par Warlikowski, qui « s’en va ».

La troupe qui s’en va jouer ailleurs, accueillie au palais Chaillot dans un univers scénique coloré, festif et triste à la fois, enlevé et stylisé dans une certaine esthétique rétro qui n’est pas désagréable.

On sent l’écriture satyrique de Levin saturée par l’idée de mort. Quelque part, cette omniprésence de la mort et de la perte d’espoir peut être difficile à comprendre du point de vue français façonné par une métaphysique cartésienne et qui croit au pouvoir du héros salvateur et aux grands esprits. Or ici ce joue une quête sans héros et sans but avec ce je ne sais quoi de poétique dans le pathétique qui rappelle il est vrai l’âme slave à la fois teintée de mysticisme et d’abattement.

« On s’en va » est l’occasion d’une ouverture sur une œuvre contemporaine et un metteur en scène hanté par les réalités politiques et sociales de son pays. Un spectacle “expérience”, aussi intriguant qu’exigeant et un plaisir de voir ce jeu de troupe à l’œuvre !

 

Crédit photo : Magda Hueckel

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