L’oncle Vania vit avec sa nièce Sonia dans une propriété de campagne. Lorsque le « Herr professeur », père de Sonia, débarque avec sa seconde femme, tout le quotidien de la maisonnée s’en trouve chamboulé. Etrangement, le docteur ami de la famille y passe de plus en plus de temps…
J’ai en tête deux acteurs, Fabrice Merlo (Vania) et Philippe Nicaud (le docteur) découverts dans « Le Quai des brumes » au théâtre de l’Essaïon à Paris. J’ai en tête également l’adaptation de « Vania » mise en scène par Julie Deliquet en 2016 à la Comédie-Française. Dans l’adaptation de Julie Deliquet, les personnages avaient des caractères loufoques, la mise en scène tendait vers l’absurde et les acteurs tournaient en dérision leur solitude. Dans la mise en scène de Philippe Nicaud en revanche, point de fuite, du Tchekhov plus littéral… Du désespoir plus brut. Les personnages ont le vague à l’âme et dépeignent un monde en vase clos qui se délite.
Il y a Vania présenté comme un clown humilié par sa vie de sacrifices à qui Fabrice Merlo donne cet air si mélancolique et rageur. Le professeur capricieux, intellectuel égoïste et froidement absorbé par ses travaux (Philippe Colin). Sa femme Elena (Céline Spang), oisive et distante, semble avoir baissé les bras malgré sa jeunesse et sa beauté. La musique et la boisson, indispensables compagnons, les tourmentent plus qu’ils ne semblent les aider. Aigreur et rancœur de vies trop vite passées et pas assez consommées se diffusent dans une mise en scène où tous restent sur le plateau, ensemble mais bien isolés les uns des autres… Comme dans « Le Quai des Brumes », les espaces se multiplient sur scène et la musique emplit parfois le jeu, créant ici une atmosphère d’accablement.
Deux personnages pourtant semblent lutter encore. Il y a Sonia (Lou Lefèvre), Sonia la campagnarde, intelligente mais pas assez jolie pour susciter l’amour. On sent chez son personnage la lutte pour exister même si le jeu de l’actrice est à mon avis trop calme pour dépeindre son désespoir lorsque le docteur la rejette. Le docteur, captivant Philippe Nicaud, est lui aussi bien présent. Homme d’esprit et de chair, il est le seul à agir encore, le seul à sembler vouloir s’en sortir et à oser approcher Elena. La scène des tableaux est très bien vue, elle montre le dernier élan pour le réveil de l’âme et tente le réveil du corps mais rien n’y fait. Tous se séparent à la fin, aussi malheureux et désœuvrés qu’au début.
La mise en scène efficace donne vie à une version fidèle mais plus triste de l’esprit de Tchekhov. On repart même avec la ritournelle en tête, pari réussi!