Il y du bon et du moins, bon, de l’osé et du convenu, du superflu et du nécessaire dans cet Othello mis en scène par Arnaud Churin. Un peu sage dans l’ensemble, manquant de mordant mais si intéressante, cette mise en scène d’Othello vient nous susurrer deux trois idées importantes.
Au départ un parti pris : Othello sera le seul blanc d’une distribution composée d’acteurs noirs. Le “maure” devient le “caucasien”. Othello épouse en secret Desdémone contre l’avis de son père Brabantio qui, l’apprenant, demande au doge de Venise de lui rendre justice. Othello est soutenu par celui-ci et même promu gouverneur de Chypre où il doit partir sur le champ pour repousser les Ottomans. Comblé, Othello part avec sa belle Desdémone. Loin de la patrie, Iago qui hait Othello tissera sa toile pour le faire chuter en le poussant au meurtre de sa belle Desdémone, accusée d’infidélité avec le lieutenant Cassio. Fou de jalousie, Othello se laissera prendre au piège de Iago qu’il croit honnête et qu’il estime avant de se donner la mort en apprenant son erreur. Émilia, femme de Iago et servante de Desdémone (la talentueuse Astrid Bayiha) y laisse aussi la vie pour avoir levé le voile sur l’ignobilité de son mari qui la tue pour cet affront.
Dans cette mise en scène, j’ai d’abord pris peur à l’idée que cette inversion de distribution puisse faire paraître Othello non plus comme le paria vilipendé pour son origine mais comme un simple anti-héros; et donc atténuer le propos du rejet raciste dont il est sujet dans la pièce.
Car d’une certaine manière, c’est à un “Autre” faible parce qu’il est minoritaire auquel Iago s’attaque- et l’on atterrit alors dans une autre forme de rejet qu’est le rejet du plus faible socialement, rejet très actuel, mais à comprendre différemment.
Mais au delà de ce décentrement, l’interprétation par des acteurs noirs ou blancs ne change en aucun cas l’essence des personnages. La jalousie meurtrière d’Othello, sa folie comme la cruauté du personnage de Iago jaillissent du même universel terreau qu’il convient d’appeler Homme. Othello est fait de ce coeur corrosif prêt à s’enflammer au moindre tison attisé par Iago. Ces deux-là ont le mal dans le coeur et rien n’atténue les traits des caractères imaginés par Shakespeare.
Rien, dis-je? Pas tout à fait…
Sur scène la pièce se déploie à la manière des tableaux de Bob Wilson : très esthétiques, épurés, en jeu d’ombre et de lumière, usant de voiles tournants pour créer des espaces à contrastes.
Beau mais en somme assez froid. Cette esthétique est prolongée par des costumes japonisants, sortes de kimonos accompagnés de gestes d’arts martiaux.
Et d’un coup nous nous retrouvons éloignés des passions et des tempêtes qu’on imagine s’abattre sur l’esprit d’Othello. Au lieu d’un homme de guerre tempétueux, Mathieu Genet est un Othello filiforme et hargneux, usant d’une diction plate, ou plutôt qui ne permet de déceler chez lui ni passion dévorante ni dégoût enfiévré. Tout est plus calme, en retenue : les samouraïs gardent le contrôle, ne perdent que rarement la face. Cet Othello est un parvenu qui ne fait naître aucune compassion pour son sort.
Desdémone au contraire est au plus juste dans le rôle de la femme vertueuse et sans tâches (Julie Héga). Il y a dans son jeu tout un travail de gestuelle enfantine. Elle semble aérienne et aveuglément ingénue, si sûre dans l’amour qu’elle porte à son Othello que les démonstrations affables qu’elle adresse à Cassio lui semblent naturelles. Et c’est de cette pureté hors de tous soupçons que Iago se jouera pour la perdre. De ce côté, l’interprétation de Iago par Daddy Moanda Kamono manquerait presque de vice et de perversité. J’ai souvenir d’un Nâzim Boudjenah bien plus retors dans la mise en scène de Léonie Simaga au Français (Othello 2014 comédie Française) et qui se situait mieux dans le personnage.
Dans le rôle de Cassio, Nelson-Rafaell Madel déploie comme Julie Héga un jeu plus libre, plus frais et plus versé dans l’interprétation que la plupart des autres interprètes. Il est un Cassio enjoué, valeureux et victime de son ivrognerie et des tromperies de Iago.
En définitive, l’effet japonisant, qui dans notre imaginaire collectif inspire une certaine sagesse, est ici en contre-emploi. Il retient au lieu de déchaîner car l’art martial connote quelque chose de trop raisonné pour que la fureur qui agite le coeur de l’homme haineux et de l’homme jaloux s’exprime.
Cette mise en scène singulière présente de vrais partis pris assumés et intéressants mais passe un peu à côté de l’émotion et de la puissance du texte de Shakespeare par un choix de mise en scène trop sage.
A noter, comme toujours, que le théâtre Montansier (qui s’est engagé dans la coproduction de cette pièce) aura permis à cette création hors du commun de prendre vie !
Credit photo: Pénélope Ambert & Matthieu Edet