[Vu à Versailles mais cette année, pour la première fois, certaines créations du Mois Molière s’envolent au off dans un lieu dédié : à retrouver à la salle de l’Ancien Carmel d’Avignon !]
Pour son art de l’épopée et du récit, on frétille toujours un peu à l’idée de découvrir la dernière création d’Éric Bouvron aux grandes écuries de Versailles en avant-première du festival d’Avignon ! On se rappelle évidemment son superbe Zorba (2018), ses immanquables cavaliers (2016), Braconniers (2023) sans oublier Lawrence d’Arabie en 2021. Autant de pièces signées au fil du temps de la même main experte à proposer des voyages dans le temps et l’espace sur des scènes quasiment nues !
Le dispositif de « Paris-Istanbul, dernier appel » ne déroge pas au style. On parle d’exil et de Turquie : éléments déjà distillés dans certaines des productions susmentionnées mais avec, tout de même, un élément nouveau qui fait la sève de ce récit :
Il s’agit d’une écriture au plateau inspirée de la propre histoire de Sedef Ecer, écrivaine turque exilée en France, vêtue de bleu sur scène, solaire et élégante comme une Dalida !
Pour adapter les textes de Sedef Ecer, joué quelques jours auparavant en Turquie après avoir bien vérifié que Sedef n’était plus sur la liste rouge et ne risquait rien, les trois actrices se sont réunies avec Eric Bouvron.
Ce fameux jour de basculement à l’été 2016, j’étais moi-même en stage au chantier d’été Emmaüs Toulouse avec cinq jeunes camarades turques. Je me rappelle leur nuit d’angoisse, les yeux rivés sur leur écran et en lien constant avec leurs familles. Certains sont depuis revenus en France pour y étudier puis s’y sont installés. Comme pour Sedef, ce fut pour eux un séisme !
A travers son histoire, sa rédecouverte de son histoire, on vit Istanbullywood, les réminescences de son enfance de star, l’arrestation de ses proches, l’incompréhension de son mari et des ses filles, les paroles sages de sa femme de ménage Dolorès. Sans en perdre une miette, les spectateurs voient toutes ces scènes et tous ces personnages apparaître et disparaître par une simple transformation de costume et de jeu. Elena Michielin-Flammino et Clémence Audas virevoltent autour de Sedef Ecer, qui rayonne. Cette partition à trois est singulière, vivante et sans pathos.
C’est très beau, doux-amer et tendre à la fois, équivoque des absurdités de notre temps qui divise plus qu’il ne rassemble. Ce qui en fait la magie et pousse encore à “croire”, c’est que l’histoire de Sedef n’a nul besoin de nous être familière pour nous émouvoir et nous transporter avec elle à bord du Paris-Istanbul !
Un spectacle qui parle du déracinement avec générosité, espoir et résilience (et un parfum de “dolmas”) !
A voir à l’Ancien Carmel du 3 au 21 juillet à 19h
rédaction article : Bénédicte Six
crédit photo : ©Vito Flamminio
Mise en scène Eric Bouvron
Compagnie Les Passionnés du rêve, adaptation et avec : Clémence Audas, Sedef Ecer, Elena Michielin-Flamminio