Il y a d’abord un décor avec une esthétique feutrée qui évoque par un savant jeu de lumière l’intime et le secret. Dans cette atmosphère, quatre personnages apparaissent : nous sommes sur un bateau voguant vers la Chine. A bord, Ysé, entourée de son mari et de deux autres passagers qui la courtiseront, Mesa et Amalric. Tous ont déjà vécu et sont dans la recherche d’un second départ de l’autre côté de la mer.
Ysé cristallise leurs désirs et une tension entre les personnages s’installe très vite. Ysé et Mesa, Ysé et Amalric ? Ysé portant l’enfant de Mesa repartant avec Amalric, abandonnant mari et amant derrière elle pour aller vers la mort.
Le texte comme dans l’Echange est un mélange d’amertume, d’amour mystique et de malheur reposant sur la rythmique des images et du verbe claudélien. Pour autant, ce rythme long choisi pour dire « Partage de Midi » confère à chaque mot une sonorité qui éclipserait presque la mise en scène. L’ironie est qu’on est presque tenté de fermer les yeux pour ne garder que cette dimension-là. “Partage de Midi” est ainsi comme une longue plainte en clair-obscur. On s’y frôle, on se plaît mais jamais on ne s’incarne tout à fait.
Jutta Johanna Weiss est flamboyante, féline et indécise. Mathurin Voltz dans le rôle du mari a une présence effacée presque menaçante, comme une ombre annonçant le dénouement dramatique. Stanislas Nordey campe un Mesa rongé par l’impuissance de combattre son amour. Et enfin, Alexandre Ruby campe le fier Amalric conquérant et pragmatique. Son jeu plus direct et franc tranche avec les autres personnages de ce quatuor.
Il y a dans ce jeu lent et retenu quelque chose d’étrangement figé qui corrobore avec l’idée d’exploration des rituels d’amour et de mort poursuivi par le metteur en scène Eric Vigner dans son cycle trilogique. Pour autant, cette mise en scène devient parfois alanguie et l’exercice tédieux. Il faut du courage et de l’attention pour savourer pleinement ce voyage.
C’est assurément un spectacle dont on ne peut qu’admirer le travail de jeu, de décor et de mise en scène. Tout est en suspens, certes fidèle à Claudel mais dirigé, avouons-le, vers un public aguerri et patient.
crédit Photo: @Jean Louis Fernandez