Mark Rothko ? Tout au plus un nom déjà entendu. Ses peintures ? Certainement déjà aperçues. Bien heureusement, il n’est pas nécessaire de s’y connaître pour comprendre la pièce : un peintre renommé mais à son avis incompris prend pour l’aider un assistant lui aussi peintre à qui, entre deux tâches ingrates, il tente d’inculquer sa vision de l’art.
D’abord tout penaud, épaules rentrées, comme ratatiné devant le maître dans ses habits du dimanche, Ken (interprété par Alexis Moncorgé) finira par exploser mais tard, si tard et après tant de scènes que je m’interroge sur l’intérêt de la pièce…
Convenons-en d’emblée : la mise en scène de Jérémie Lippman est soignée et la scénographie de Jacques Gabel majestueuse et imposante avec ces reproductions grandeur nature de ce qu’aurait pu être des Rothko pour sa commande extra-ordinaire du Four Seasons. Il se dégage de scène une atmosphère effectivement propice à la contemplation et à la réflexion sur l’art. La scène de préparation de la couleur avant de peindre le tableau est magnifique.
Mais après, que dit-on vraiment d’intéressant ? Les échanges sur l’art sont assez convenus et peu originaux. Niels Arestup joue la carte du privilège de l’âge qui n’en est pas un. Il campe ce rôle de peintre bougon et misanthrope et Alexis Moncorgé le jeune élève qui se déploie petit à petit et fait face à l’ombre du maître.
Et après ?
La mise en scène embellit plus qu’elle n’enrichit le propos car le cœur de tout, le texte, plie, insuffisant. Le talent des acteurs ne suffit pas à redresser la barre car il manque dans ces discussions sur l’art et dans le rapport des deux artistes une pointe d’inattendu. Quelque chose qui ne serait pas déjà écrit, un rebondissement, un virage dans le scénario, une étincelle…
Je suis de toutes les pièces récentes avec Niels Arestup : Acting, Skorpios au loin. Je l’aime et je le suis. Mais il faut aussi se rendre à l’évidence : c’est un acteur dont on ne peut plus attendre qu’une même excellence dans le jeu, s’en délecter mais sans s’attendre à de la nouveauté. L’acteur irradie et ne peut désormais que se tenir au sommet, pas innover. Alexis Moncorgé pourrait, il le fait, mais bien trop tard dans ce texte de John Loggan qui les piège.
De plus, il reste des zones d’ombre, des tensions inexpliquées et donc superflues car jamais creusées à fond. Pourquoi nous parler du père ? Que doit-on comprendre quand Rothko, le Rothko intransigeant, hautain voir odieux vient poser sa tête sur l’épaule de son assistant ? Que n’a-t-on pas compris, nous public ? Pourquoi ces fausses pistes ?
Non, face à cet énorme potentiel des acteurs sur un thème qui aurait pu être passionnant, je suis un peu déçue. J’attendais plus de profondeur et de densité!
Crédit photo: Bénédicte Six.