Cette pièce m’a complètement désarçonnée !
Un entretien. Un entretien d’embauche pour un poste de chef de la communication dans une entreprise vendant de la javel. Deux femmes que tout oppose sont là, face à nous. L’une est maigrichonne, pâle, habillée tout en noir et courbée avec dans la main un bâton d’aveugle, le chignon haut avec d’affreuses lunettes rondes qui lui mangent le visage. L’autre est jeune, aux formes pulpeuses dans des habits chatoyants, chevelure blonde lâchée sur ses épaules et une voix charmeuse. Elle a à priori tout pour ce poste : les diplômes, l’enthousiasme, l’apparence mais son interlocutrice va la pousser dans ses retranchements pour découvrir le vrai « elle ».
Le conseil du « soyez vous-même » dérive assez vite vers une injonction plus sévère. Ce que veut savoir cette drôle de directrice devient de plus en plus personnel, de plus en étrange et insensé. Dans une espèce de maïeutique du connais-toi toi-même complètement tordue, l’aveugle telle une pythie de Delphes va mener la jeune postulante vers le précipice de la connaissance de soi et de l’emprise nauséabonde des autres sur soi. A coup de philosophie, nous nous retrouvons donc à creuser au fond de l’âme de la jeune postulante pour trouver les raisons profondes de sa candidature dans une entreprise de javel.
… Et c’est terrible, terriblement drôle mais aussi terriblement efficace ! Pour vendre sa javel, cette RH va aller très loin. Surtout, elle utilise et détourne beaucoup d’idées que je tiens personnellement pour juste mais ici dans une logique à finalité de capitalisme marchand. Comment reconnaître à un recruteur des idées justes et philosophes dans un but vicié ? Tout le système de pensée est renversé par la finalité de ces questionnements. L’exercice de maïeutique tordu et décalé en dit beaucoup sur notre société fondée sur la valeur travail. Le texte de Côme de Bellescize invite à une réflexion fine sur la place de l’individu dans le monde du travail et des attentes qui pèsent sur lui. En usant de tous les moyens- menace, séduction, chantage, humiliation- la directrice est impitoyable, tyrannique mais aussi parfois juste.
Cet entretien à la javel en devient décapant d’humour et de cynisme… Un énorme coup de cœur, une pièce corrosive s’il en est !