Trissotin ou les Femmes Savantes- La Scala Paris

En voyant les premières images du spectacle, j’étais un peu sceptique. Lorsqu’il s’agit de répertoire, j’ai tendance à préférer les mises en scène classiques. Mais celle de Macha Makeïeff me confirme au contraire qu’un spectateur devrait toujours tenter sa chance :

Quelle fraîcheur, quelle lecture décalée et réjouissante de la pièce de Molière !

Décor pop et ambiance rétro-baroque des années 70, animaux empaillés et cabinet d’expérience scientifique à l’appui, Macha Makeïeff s’approprie la scène de La Scala pour nous livrer une version très enlevée de « Trissotin ou les Femmes Savantes » qui ne perd pourtant rien de sa puissance d’évocation. A contrario, cette mise en scène moderne décentre le propos en nous faisant chausser les lunettes de notre époque : le texte de Molière rencontre ainsi notre vision contemporaine du féminisme, des relations homme-femme et du rapport à la connaissance.

Vincent Winterhalter est extraordinaire en chef de maison couard et dominé. Et que dire de Bélise interprétée ce soir-là par Jeanne-Marie Levy, personnage nymphomane et délicieusement ébahi. Les autres femmes savantes interprétées par la mère et sa fille Armande (Marie-Armelle Deguy et Caroline Espargilière) ajoutent à cette illumination du « bel esprit » dont elle se sont toquées en la personne de Trissotin (Geoffroy Rondeau). Un Trissotin sinon menaçant (comme dans la m.e.s qui fait date de Bruno Bayen avec Pierre-Louis Calixte-2010) plutôt mystérieux et dont l’aspect androgyne semble témoigne d’une duplicité qui finira par tomber. Clitandre (Ivan Ludlow) tient un rôle touchant dans cette étrange maison : tout longiligne, seule sa voix puissante et basse semble le tenir droit, en équilibre malgré son impuissance face au procès qu’on veut lui faire.

Car la mise en scène de Macha Makeïeff prend le temps du jeu, un jeu qui se glisse entre les paroles. Parfois regards, parfois postures, contacts entre les personnages ou parfois burlesque mis là dans le seul but de nous faire rire comme dans la scène des expériences scientifiques, ce jeu s’impose ajoutant de la profondeur au texte et l’ouvrant à une nouvelle strate de compréhension. Ainsi maîtrisés, les acteurs se promènent dans le texte et dans l’espace avec une aisance qui se transmet au public.

On retrouve dans le décor la même inspiration que dans le Kroum de Jean Bellorini : un intérieur à plusieurs niveaux, coloré comme autant de face d’un Rubik’s cube : c’est peps ! Les costumes, tous ravissants, nous plongent encore plus dans ce côté déjanté des années 70.

Même si je reste attachée aux mises en scène classiques qui permettent de garder le texte au centre et de le faire résonner, j’accueille avec plaisir une mise en scène décalée réussissant par je ne sais quelle (al)chimie à la piquer d’une fantaisie qui ne peut qu’ajouter à l’attention du spectateur curieux.

Un spectacle singulier et animé d’une vision. Micha Makaïeff et sa troupe de comédiens renouvellent la pièce : à voir pour tous, aguerris et plus jeunes !

 

Crédit Photo: ©LollWillems

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