Quelle histoire! “Tristesses” se déroule sur l’île danoise du même nom où les 7 derniers habitants de l’île désertée après la fermeture des abattoirs, activité économique principale de l’île, découvrent l’une des leurs pendue au drapeau du Danemark. Différents bâtiments qui ressemblent à des abris jardins occupent l’espace scénique, imposants. Filmés, les acteurs disparaissent dans ces bâtiments et apparaissent à l’écran, créant ainsi des espaces démultipliés et des scènes de « dedans-dehors » qui s’enchaînent avec fluidité.
“Tristesses” est une pièce formidablement atypique : ce sont de petites gens glauques et insipides, pesant chacun son poids de secrets plus ou moins avouables. Il y a les jeunes adolescentes inquiétantes et tourmentées. Leur père, personnage truculent qui multiplie les vexations, sans pitié et pourvu d’un humour très borderline. Sa femme soumise et geignarde. Il y a le prêtre à la voix de castra, victimisé depuis l’enfance, utilisé puis corrompu et sa femme un peu benêt. Il y a le mari de la défunte, fondateur d’un parti populiste cynique et impitoyable malgré son âge. Sa fille, incarnée par la metteuse en scène Anne-Cécile Vandalem elle-même, froide et et calculatrice vient récupérer le corps de sa mère et sceller le destin de l’île.
C’est une saga où le familial et le politique se mêlent et s’influencent et où les affects sont mis à contribution des manoeuvres politiques. En effet, la chef du parti veut obtenir des habitants des signatures pour utiliser l’île comme bon lui semble. Ses sophismes dangereux sèment les graines des discours d’exclusion. Des logiques bien huilées, des mots lisses et qui sonnent acceptables pour dire le rejet fonts douter les habitants, ses proches. Elle utilise le patriotisme exacerbé comme raison de désigner des « nous » et des « eux », ligote l’amour de la patrie dos à dos aux valeurs de partage et d’accueil. Tout cela insidieusement, sournoisement, après tout elle est des leurs et vient de perdre sa mère… Le fruit pourrit peu à peu en mettant les habitants face à leur conscience. Cela finira forcément mal…
Les hommes fantômes grimés et le spectre de la mère sont les musiciens du spectacle : l’ambiance qu’ils créent est poisseuse, sordide et sombre. Beaucoup de vidéos avec des angles rapprochés, des cadres qui rappellent également les thrillers, les films d’horreur. Tous ces éléments sont étonnamment agencés et rendent le spectacle intriguant !
Pour une spectatrice souvent méfiante du théâtre contemporain qui s’entiche un peu trop de la vidéo et de la sonorisation, je dois bien avouer que Tristesses fût une grande surprise ! Fiction politique, ambiance de thriller, humour cinglant et personnages ringards et drôles malgré tout … Je recommande vivement.
Je peux maintenant dire que j’ai vu mon premier thriller au théâtre !
crédit photo: Tristesses © Phile Deprez