Cette adaptation d’Oncle Vania est un pur régal ! J’ai déjà ri au théâtre et j’ai déjà pleuré mais je n’avais encore jamais ri et pleuré en l’espace d’une seule pièce.
Pour l’occasion, la salle du vieux-colombier a été remaniée en deux rangées de spectateurs se faisant face. Au milieu une grande table, sur la scène. Dans cette disposition, le spectateur devient parti prenante dès son entrée dans la salle. Car la scène investit l’espace et les spectateurs d’en face font partie du décor comme un miroir sans fin. C’est l’homme face à lui-même.
Dans les pièces d’A. Tchekhov comme dans tout le théâtre venu du Nord de Gorki à Ibsen en passant par Strindberg, il faut avouer qu’il ne se passe pas grand-chose. L’action est recentrée sur la venue du professeur et sa femme chez son beau-frère et sa fille. Cette venue va dérégler la vie de la maisonnée et faire émerger des paysages intérieurs tumultueux. Les thèmes de l’oisiveté, de la quête de vérité intérieure, de l’amour impossible se mêlent pour former une ambiance pesante de naturalisme émotionnel. Les règles du temps sont abrogées, on n’est plus hier, pas non plus aujourd’hui et les scènes s’enchaînent sans baisser de rideau comme pour rappeler que la notion de temps échappe à ceux qui ne trouve plus de sens à leur vie.
C’est une pièce de troupe, de la plus belle troupe que je connaisse, où chaque acteur apporte sa densité au personnage. Hervé Pierre avec sa voix tonitruante et si singulière tient le rôle du professeur loufoque et capricieux, son personnage semant une joyeuse zizanie. Dominique Blanc chaussée de ses lunettes qui lui mangent le visage, a l’air inoffensif de la vieille bibliothécaire ayant dédiée sa vie aux livres sans avoir vécu la moitié de ce qu’ils racontent. Noam Morgensztern est presque toujours sur scène, dans la partition difficile de l’acteur qui observe, jouant l’être déclassé qui ne parle que quand on le somme de prendre part. Dans le rôle de Vania, Laurent Stocker touche du doigt la désespérance de son personnage usé par la rancœur et l’amour à sens unique. Son jeu est grand, peignant un humain à fleur de peau et rongé par le vague à l’âme. Les autres aussi sont excellent dans leur rôle.
Dans cette pièce, on chante, on boit, on danse… on vit pour vérifier que quelque chose à l’intérieur continue d’exister, de subsister à tous les chagrins, les déceptions et les désillusions amères. Pour oublier le temps d’une ronde l’emprise qu’on a plus sur le cours de sa propre vie. La représentation théâtrale touche ainsi au plus profond de l’homme dans son besoin de sécurité et de bonheur, réussissant à marquer l’esprit du spectateur bien après sa sortie de la salle !
Espérons que la pièce sera reprise la saison prochaine !