Pas évident pour “Angels in America” de démarrer après les très bons “Pays Lointain” et “les Idoles” donnés dernièrement au théâtre de l’Odéon… Sans compter les films notables abordant eux aussi le thème de l’épidémie du sida.
La place différente du religieux aux États-Unis et plus précisément du contexte de puritanisme américain éclaire forcément le propos différemment. On n’est pas en France comme dans « les Idoles » où l’injustice de la maladie est au cœur de tout. Ici on se sent coupable, on se cache, on se renie. Dans Angels in America, seulement deux des protagonistes sont malades mais tous sont touchés, le sida agit comme un agent révélateur d’une société.
Ainsi la pièce dit comme le melting pot américain se réalise peu si ce n’est par des rencontres inavouables d’un juif gay, d’un mormon gay, d’un noir gay. Des catégories parallèles. C’est peut-être ce message là qu’il faut saisir de la pièce. Mais cela n’a rien d’évident, la faute au contexte historique spécifique des années Reagan, plus ou moins évocatrices pour le public français d’aujourd’hui.
Le propos de Kushner est donc daté, moins opérant qu’un « Pays lointain » ou que « 120 battements par minute » pour parler des années sida. Arnaud Desplechin vient compléter sur le sujet mais sans véritablement innover, c’est un peu maigre. On sent malgré tout sa patte cinématographique qui s’appuie sur une distribution au cordeau : Michel Vuillermoz, en magnat de la justice, parvenu amoral, arriviste complètement corrompu, est épatant. Sa voix tonitruante en rencontre d’autres plus douces ou plus déchirées, comme celle de Clément Hervieu-Léger. Clément H-L remplit la scène de sa présence et de sa souffrance (il fait si bon de le voir sur les planches !). Il incarne son personnage avec force et contraste d’autant plus avec un Christophe Montenez en proie à la compromission, plus sobre dans son jeu qu’à l’habitude.
Jérémy Lopez ensuite, électrique, paraît dans un rôle inattendu et continue d’élargir sa palette de jeu. Et une mention spéciale à l’incroyable Dominique Blanc qui prouve une fois encore qu’elle peut non seulement tout jouer mais aussi tout nous faire croire. Gaël Kamilindi, Jennifer Decker et Florence Viala viennent compléter cette distribution dans des rôles secondaires et rôles d’anges.
Niveau mise en scène, la scénographie évoque Brooklyn et l’Amérique des grattes-ciels sans rien montrer d’exceptionnel. Le procédé du split screen, permettant de partager la scène en deux par des jeux de lumière, est intéressant. Cependant, lorsqu’Arnaud Desplechin dit de ce spectacle qu’il convoque à la fois « Shakespeare + Brecht + Broadway »… On reste dubitatif. C’est peut-être y voir une œuvre plus gigantesque qu’elle ne se dévoile sur scène…
Somme toute, c’est une bonne production mais sage et sans vrai éclat. Ce projet ne passera pas dans la catégorie des pièces marquantes montée au Français …
Angels in America de Tony Kushner, mise en scène Arnaud Desplechin
Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française