Détails- Théâtre du Rond-Point

De Lars Norén, on a vu il n’y a pas si longtemps « Poussière » sur la scène de la Comédie-Française. Digne héritier de ces aînés Ibsen, Strindberg ou encore Bergman, Lars Norén va chercher dans la noirceur de l’âme humaine avec un certain cynisme, souvent grinçant.

Dans cette pièce, Lars Norén s’attache aux « Détails ». Les détails dont toute vie de couple abreuve : des foultitudes de rien, des tics de langage, des habitudes qui peuvent lancer des ouragans. Tous ces mini dialogues de sourds où l’on sent que le lien est rompu, sectionné.

Voilà ce que les quatre comédiens : Isabelle Carré, Laurent Capelluto, Antonin Meyer-Esquerré et Ophélia Kolb veulent nous raconter. Dans un microcosme, ici celui de la culture, on assiste au démantèlement de leurs couples et à leur recherche du bonheur ailleurs, dans les bras d’un meilleur ami ou d’une autre femme. Les trente mini-scènes s’ouvrent et se ferment par la même phrase, toutes tissées de détails réalistes et de ces broutilles qui font et défont des tentatives de couple.

Difficile de ne pas s’identifier à eux tant tout est saisissant de vérité. Car il est certain que ces situations arrivent tous les jours à des gens comme nous public. En cela, « Détails » est loin d’être une pièce réjouissante mais plutôt un miroir tendu et dérangeant, nous racontant des tragédies quotidiennes qui s’ignorent sans bruit.

Car dans « Détails », et c’est là la grande force des acteurs, tout est très intellectuel et rien  ne se dérègle en apparence. On suit leurs parcours dans lesquels il n’y a ni cris, ni pleurs, ni insultes, ni chaises cassées. Des coups de canifs dans les mariages, des adieux circonstanciés. Des ménages qui se séparent sans avoir pu fonder de famille.

Cette partition à quatre mains est jouée comme si chacun était détenteur d’un petit bout de l’autre.

Côté distribution, Isabelle Carré figure la femme socialement comblée mais incomplète dans sa vie sentimentale et que son mari délaisse avec justesse et dignité quand Ophélia Kolb incarne la fraîcheur imprudente et exaltée d’une jeune femme qui se cherche. Son pendant masculin, Antonin Meyer-Esquerré, figure l’esprit brillant mais malade de l’écrivain esseulé malgré son succès et Laurent Capelluto campe le personnage du quarantenaire lucide, dépressif et pourtant plein de désirs encore. Ils sont médecin, éditeur, auteur, romancière…Privilégiés et pourtant tous les quatre sont des épaves, des naufragés à la dérive cherchant vainement une bouée pour se rattraper à la vie. Ils se rencontrent sans jamais se compléter et hésitent, rendent plus malheureux qu’heureux.

 

On est dans « Détails » très loin d’un théâtre de performance. Pour y trouver un intérêt, la pièce parle un tant soit peu au spectateur en s’adressant à sa sphère intime, à ses propres échecs. Dans le jeu comme dans la mise en scène de lieux à la fois vides et neutres, Frédéric Bélier-Garcia a amené les acteurs dans quelque chose de véritablement subtil. Les comédiens ne sont pas dans la démonstration mais plutôt au service de cette destruction passive. Le grand tableau du fond de scène, trop grand pour être visible en entier dès le début de la pièce, est cette grande photo des trente scénettes qui composent la pièce. Sur cette composition de 10 ans tout se craquelle et se décompose. Le tout est d’une grande violence car comme dit Lars Norén lui-même, c’est comme un sourire triste : “le tout est tragique, le détail est comique”.

Un bel ouvrage, une pièce pour penser et réfléchir sur soi plus que pour se divertir… Très réussie à mon avis malgré l’accueil tiède d’un public (peut-être ?) trop concerné.

crédit photo : Christophe Martin

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