Titus aime Bérénice et Bérénice aime Titus. A la mort de Vespasien son père, Titus accède au titre d’Empereur de Rome et va pouvoir épouser sa reine de Palestine, Bérénice. Du moins le croit-elle, sans comprendre l’évitement froid que son amant lui impose depuis 8 jours qu’il est sur le trône.
Noirceur de l’amour sans issue, la gloire et le devoir de régner sur Rome qui refuse le mariage avec une reine étrangère l’emporte dans le cœur de Titus.
Baignés dans une lumière subtile mais au sein d’un décor sans grand charme empli d’une musique d’ascenseur, la scénographie ne prend à mon avis qu’une part minime dans le jeu flamboyant et incandescent des trois héros de cette séparation.
La direction d’acteur précise et sensible de Muriel Mayette-Holtz, qui connait bien ce texte, est à saluer : l’action resserrée et les coupes n’ont pas dénaturé la tragédie racinienne et la puissance inégalée de ces alexandrins sonnent avec panache dans nos oreilles (malgré cette manie de sonoriser les acteurs à la Scala, l’acoustique est-elle donc si mauvaise ?!) !
Choix conscient ou non, dans cette mise en scène lorsqu’il s’agit de la représentation de la souffrance et de la douleur, les énergies s’inversent dans un élan presque féministe et empli de modernité : Carole Bouquet tout d’abord, profil splendide et royal, garde la tête haute dans la douleur qui l’accable, restant droite et digne dès qu’elle comprend que son sort a été scellé tandis que les corps des hommes autour d’elles se tordent, chutent à terre si bien qu’on est presque plus inquiets pour leur salut que pour elle, on se dit qu’elle aura la force de caractère de rebondir. En majesté, Bérénice plie mais ne choit jamais.
Frédéric de Goldfiem, Titus, nous fait mal au cœur dans son tiraillement, son visage fermé et presque grimaçant de douleur, ses habits de patron d’entreprise qui ne lui servent guère d’armure contre les douleurs qu’il ressent et dont il est la cause. Défait, il s’affaisse, étouffant sous sa cravate.
Et Jacky Ido enfin est d’une expressivité confondante dans son rôle d’Antiochus. L’amant éconduit, confident de l’amour des deux autres, rejeté par l’une et retenu par l’autre, pris dans la toile et maudissant son sort tout en restant fidèle à son rôle et à son rang est celui dont le corps rentre le plus en résonance avec sa souffrance. Ses attitudes disent tour à tour la honte, le devoir, l’espoir, le désespoir et les larmes emplissent ses yeux d’un visage crispé de douleur.
Le pouvoir, le devoir d’état gagnent et terrassent chacun des protagonistes de ce triangle amoureux. Leur abandon mutuel se profile, non sans avoir fait jurer aux autres de ne se point donner la mort et de survivre à ce déchirement.
Cette distribution nous offre un vrai moment de théâtre qui fait gonfler nos cœurs de pitié, d’admiration, d’empathie et de terreur. Le tragique de la pièce de racine est sublimé et porte aux nues sa fonction de catharsis : on sort de là en se disant que finalement, dans nos petites vies, oui vraiment, en comparaison, tout va bien…
Article : Bénédicte Six
Crédit photo : Sophie-Boulet, Virginie Lançon