« Quoi? vous ne croyez rien du tout, et vous voulez cependant vous ériger en homme de bien ? -Et pourquoi non? Il y en a tant d’autres comme moi qui se mêlent de ce métier, et qui se servent du même masque pour abuser le monde. »
Adapté d’après le « mythe de Don Juan » et le « Dom Juan » de Molière, ce Dom Juan dirigé par Lorenzo Malaguerra et Jean Lambert-wild foisonne d’idée. La pièce de Molière, principale terreau de cette réécriture, a été écrite juste après le Tartuffe mais avant le Misanthrope et le médecin malgré lui. On y trouve un panaché de tous les thèmes qu’explorera Molière avec parfois plus de brio : l’hypocrisie, la bigoterie, le fléau de la médecine… Tout y est déjà.
Dans cette mise en scène cependant n’est mis l’accent que sur un Dom Juan qui court à la mort. La solitude du personnage se fait sentir au fur et à mesure que la mort s’approche de lui et le Dom Juan coureur est remplacé par un clown inquiétant, triste, amoral, farceur et querelleur. La figure du clown Gramblanc pour incarner Dom Juan est intéressante- et, disons-le, dans l’air du temps. Comme le joker, ce Dom Juan à la chevelure rouge et au visage grimé de blanc évoque un mélange de cynisme et de danger. Inventé par Jean Lambert-wild, ce clown l’accompagne depuis plusieurs années dans ses créations. On retrouve donc à la fois dans ce personnage mythique et dans ce clown la mélancolie, la légèreté et la cruauté mêlées car dans son rapport à la mort, Dom Juan porte tout de l’angoisse métaphysique du clown.
Le travail du décor imaginaire (tapisserie d’Aubusson en point numérique et escalier en porcelaine de Limoges), lieu unique de l’action et sorte de forêt tropicale sonore est un des éléments différenciant de cette mise en scène. Surprenante de prime abord mais assez esthétique. La surprise plus grande encore vient du pari de faire jouer l’ensemble des seize comédiens élèves de l’école supérieure professionnelle de théâtre sur tous les rôles. Ce choix de distribution variable impacte un peu le jeu qui ne semble pas encore tout à fait affirmé pour éviter de donner l’impression d’une récitation. Et à titre d’exemple, un père ayant l’air plus jeune que son fils parait plutôt étrange. A noter aussi que le rire ne fonctionne pas toujours là où il devrait si bien qu’un jeu de Commedia dell’arte alliée au clown et à cette distribution fonctionnerait peut-être mieux…
Enfin les musiciens de cet orchestre burlesque (compagnie de l’ovale), mi cabaret-mi punk, sont assurément bons… Mais à quoi servent-ils ? Le décor est assurément beau… Mais qu’apporte-t-il ? Autant de questions sans réponse qui, malgré une tentative de sens et un texte bien dit ne convainquent qu’à peu près.
Ce Dom Juan n’en reste pas moins un projet à part, ambitieux mais quelque peu noyé : il y a trop d’éléments externes– le décor, l’orchestre, l’alternance des acteurs… Vouloir faire vivre l’économie du territoire limousin au travers de la pièce était une ambition honorable mais quelque peu démesurée… Avec trop d’enjeux hors « le jeu », c’était prendre le risque que le « trop » tombe à plat.
Il faut pour savourer ce Dom Juan s’affranchir des mises en scène qu’on aurait pu voir pour n’en garder que la saveur de son originalité !
DOM JUAN OU LE FESTIN DE PIERRE.
D’après le mythe de Dom Juan et le Dom Juan de Molière.
Adaptation: Jean Lambert-wild et Catherine Lefeuvre.
Direction: Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra.
Musique: Jean-Luc Therminarias.
Scénographie: Jean Lambert-wild et Stéphane Blanquet.
Lumières: Renaud Lagier.
Costumes: Annick Serret.
Avec: Jean Lambert-wild, Steve Tientcheu, Denis Alber, Pascal Rinaldi, Romaine, et des acteurs/actrices de l’Académie de l’Union.
Théâtre de l’Union, Limoges.
14 03 2019
©Tristan Jeanne-Valès