Feuilleton Goldoni – La Scala Paris

Un marathon théâtral à la Scala, cela vous tente ?

Présenté comme un feuilleton psychologique sur notre incapacité au bonheur, les aventures de Zelinda et Lindoro se déploient en trois temps. Pas l’œuvre la plus connue de Carlo Goldoni, moins jouée que la “Trilogie de la villégiature” ou “Une des dernières soirées de Carnaval“, ces trois pièces courtes donnent à voir la progression des amours de deux jeunes gens fébriles et tortueux. Comme dans les autres pièces de Goldoni, de nombreux personnages se partagent le plateau.

1ere partie

Dans la première partie qui plante le décor, on découvre les deux protagonistes principaux Zelinda (Joséphine de Meaux, indissociable pour moi de son rôle dans le film “Nos jours heureux“) et Lindoro (Félicien Juttner, indissociable quant à lui de son rôle d”’Hernani” à la Comédie-Française), tous deux de bonnes familles mais réduits à la servitude chez le généreux Don Roberto. Les jeunes gens sont en proie aux jalousies et aux vicissitudes des autres “locataires” de la maisonnée : le fils et l’intendant courtisant tous deux Zelinda et la belle-mère jalouse de la relation de la servante avec son mari Don Roberto.

Dans un espace modulable qui le restera tout du long, des scènes d’intérieur et d’extérieur s’enchainent grâce à des cadres déplacés sur un cintre et aménageant la scène. Une méridienne, élément central sur lequel tous se jetteront à un moment où un autre, est installée au-devant. A gauche, le pianiste François Barucco accompagne les péripéties.

Si l’intrigue se met en place avec un intendant qui joue “l’intriguant” (Jonathan Gensburger de la troupe du TNN, sorte de Scapin à l’italienne qui crée et démêle les histoires en jouant de son rôle d’intermédiaire), un fils amoureux (Augustin Bouchacourt, TNN) et une belle-mère tracassière (Tania Garbarski, Théâtre de Liège), on note déjà l’incongruité du rôle de l’acteur belge Charlie Dupont en Don Roberto (Théâtre de Liège également). Découvert dans la comédie “Hard“, son interprétation de ce vieil homme mièvre est d’autant plus jubilatoire qu’il parait lui-même bien trop jeune pour l’incarner.  Étrange et délicieux de voir cet acteur changer sa voix et figurer ce patriarche sirupeux et proche de la sénilité.

Dès cette première partie, le grotesque pointe son nez : du chocolat chaud et des fruits volent sur scène, prêts à gicler sur les décors ou manquant d’atterrir sur les spectateurs.

2eme partie (“personne ne peut avoir les roses sans les épines” – Zelinda)

La deuxième partie est la plus réussie et démarre sous le signe des quiproquos à répétition. Entre commedia d’El Arte et improvisation, les situations deviennent plus absurdes les unes que les autres. Lindoro jaloux est comme un Alceste au physique romantique, émotif et déchiré. Sa dulcinée Zelinda place sa parole d’honneur au-dessus de tout et s’attire bien des tourments, s’infligeant à chaque seconde un émoi destructeur. Ce drôle de couple forme un duo qui n’a de cesse de se rajouter du tourment. Il y toujours chez lui cet air inquiet et agité et chez elle une pointe absurde en tapinois. “Beaucoup de bruit pour rien !” aurait avancé un autre auteur… Mais pour notre bonheur !

Dans cette deuxième partie s’amorce également la transformation en pièce contemporaine que l’on peut noter dans les costumes et l’ajout de mobilier mais aussi dans le jeu : ce pourrait aussi bien être une comédie moderne comme le huis clos “Le dieu du carnage” de Yasmina Reza. L’énergie est beaucoup plus vive, cela bouge et court dans tous les sens !

Certains moments d’improvisation convoquent à la fois le comique de geste et le comique de mots : l’absurdité s’accélère lorsque l’une brandit son rouleau à pâtisserie comme une menace (et on atterrit dans “La Demande en mariage” de Tchekhov) ou que l’autre utilise Don Roberto comme marche pied sans compter cette avalanche de mots rapides, de dialogues hachés et de plus en plus rapides… On rit avec cœur de ces scènes de ménages et de tout ce brouhaha. De temps à autre, le 4eme mur tombe dans cette seconde partie, nous maintenant en haleine. Le jeu se fait physique et Félicien Juttner revient de temps à autre les cheveux mouillés sur scène, comme pour s’aider à tenir ce rythme effréné.

Dans ce désordre, Don Roberto continue d’être un personnage foncièrement gentil et qui s’efforce d’être juste et équitable. Un rôle assez rare pour le noter car d’habitude les vieux patriarches sont plutôt les voyous qui en font voir de toutes les couleurs à la maisonnée et non les sages qui conseillent, écoutent et rabibochent…!

Autre personnage secondaire notable, la cantatrice Barbara fait son petit effet. Incarnée brillamment par la solaire Eve Pereur, ce personnage est d’une noble fierté, ingénu mais indépendant. Un très beau personnage de femme libre et qui revendique qu’on la respecte et qui contraste avec les autres personnages féminins, querelleur (la belle-mère) et cajoleur (Zelinda auprès du maitre).

3eme partie

Vient ensuite la troisième partie : Don Roberto est mort et l’on se sent progresser vers une autre étape de vie. On avance également vers la contemporanéité comme le signifie la modernisation des costumes. Si la 2eme partie se fait jubilatoire, cette dernière séquence devient quant à elle un peu trop grotesque : le déplacement en crabe et l’hystérie sur le crochet finissent par sonner faux et les atermoiements de Zelinda et Lindoro deviennent à force lassant. Ce tragi-comique outrancier gâte la fin.

Certes nos personnages sont saouls d’amour mais leur amour, maladif et pathétique, est proche de tout faire capoter à force de jalousie et de querelles futiles. De plus, l’inversion des rôles de jaloux n’ajoute pas au propos. Dommage : on aurait pu être chez Feydeau ou Labiche sans cet excès névrotique !

On conclura en disant que cette analyse de la société et des rôles sociaux en trois épisodes a gardé de son mordant et on remerciera Murielle Mayette – Holtz de s’en être emparée. A choisir, la 1ere et la 2eme pièces suffisent à gouter la saveur de cette histoire mais pour les plus curieux, je recommande l’expérience du marathon !

 

FEUILLETON GOLDONI

Mise en scène Murielle Mayette-Holtz. Traduction de Ginette Herry

Avec la troupe du TNN – Augustin Bouchacourt, Jonathan Gensburger, Fréderic de Goldfiem, Ahmed Fattat, Pauline Huriet, Thibaut Kuttler, Eve Pereur –  et Charlie Dupont, Joséphine de Meaux, Jean-Luc Gagliolo, Tania Garbarski, Félicien Juttner

La Scala Paris, du 8 sept. au 3 oct. Durée: 1 h 20 pour chacune des trois parties. En Intégrale le week-end.

Puis tournée: Théâtre de la Cité à Toulouse, Théâtre Liberté à Toulon , Théâtre de Liège (octobre); Théâtre du Jeu de Paume à Aix (novembre), La Criée Théâtre National de Marseille (décembre).

crédit photo : © Virginie Lançon

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