« Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée » est un proverbe en un acte écrit par Musset. Ce genre théâtral du 19e, dont Musset est le représentant le plus connu, est un format propre au théâtre de salon : une trame légère menant à une morale formulée par un proverbe. Sans le génie de Musset, c’eut pu être un badinage dans la veine de Crébillon Fils mais sous couvert d’une comédie de mœurs, c’est à une réflexion sur la recherche du véritable amour que nous invite Musset.
Lorsque le public s’installe, les comédiens sont déjà en scène : la marquise, Jennifer Decker, est en train de modeler une sculpture tandis que le comte se tient adossé à l’encadrement de la porte, à demi tourné vers les coulisses. Lorsque la salle s’éteint, une lampe descend sur scène comme un lever de rideau inversé.
Les deux protagonistes font partie du beau monde et commencent à se livrer au galant badinage des salons. Mais au lieu d’une joute de pouvoir façon « Liaisons dangereuses », s’engage très vite une exploration de l’amour et du rapport entre les deux sexes. Drapée dans son impertinence et son apparente arrogance, la marquise rentre en résistance contre l’aveu que semble vouloir lui faire ce comte et contre l’abandon que nécessiterait un amour vrai. Dans cette fougue à la George Sand, Jennifer Decker est lumineuse et fière, trouvant peut-être ici son premier grand rôle à la Comédie-Française. Car se ne sont pas deux jeunes premiers qui dialoguent sur cette scène, pas de Perdican ni de Camille mais au contraire deux personnages ayant déjà vécu l’amour, s’étant déjà peut-être tenus au bord du gouffre, prêts à se faire engloutir.
La nature de l’amour et de ses tourments, la peur de se découvrir à l’autre et d’être ridicule, choisir, sauter dans l’inconnu de la rencontre amoureuse… Voilà autant de thèmes qu’abordent cette comédie de mœurs et que les deux acteurs incarnent avec beaucoup d’humilité et de talent. La fragilité du comte joué par Christian Gonon face à cette comtesse, imprenable forteresse, invite le public à se remettre lui-même en question, d’accepter de se projeter fragile et démuni face à l’être aimé.
Le désir de se retrouver à deux, ce remède à la mélancolie vieux comme le monde et que l’on nomme amour, voilà en fait l’objet de ce savant trompe-l’œil. Interprété tout en finesse par deux acteurs en accord parfait et dans une mise en scène faisant entendre la modernité du texte…. C’est dire comme la comédie Française a encore frappé !