Mina Kavani livre un monologue incandescent et underground, plein d’une lumineuse colère.
Le geste est tout ce qu’il y a de plus classique : Mina Kavani prend la parole seule sur scène pour raconter son parcours. Mais dans ce geste classique vient se nicher pour nous, spectateurs, ce quelque chose de cathartique, d’indispensable pour continuer à insuffler de la pensée et de la hauteur dans notre monde en furie. Car son histoire, partagée avec candeur et bravoure, est de celle dont la portée est universelle.
Comme plongé dans la noirceur de son déracinement originel, le spectateur est d’abord nimbé dans l’obscurité, distinguant mal les traits fins de celle qui fut, il y a 7 ans de cela, forcée de fuir son pays pour s’être dénudée dans un film. Au fil du récit, nous sommes peu à peu cueillis par un clair-obscur renvoyé par les deux miroirs d’une vie fragmentée entre Téhéran et Paris (on salue les lumières de Marco Giusti). Mina raconte et des espaces clos et sombres de son enfance en pleine République Islamique surgit l’infini des fantasmes qui commencent à se mouvoir dans un cocon familial et artistique fertile à l’échappée, comme un monde underground gorgé de projets d’émancipation.
Déjà à Téhéran la double vie commence.
Nous traversons avec elle le miroir pour nous retrouver à Paris, accompagnant l’errance de son exil, son implacable état d’inadaptation à l’endroit où elle est. Tout cela se fait sensible grâce à la délicate scénographie de Clémence Kazémi. Et dans cet ailleurs où le salut ne vient pas, où les rêves s’étiolent de n’être plus brimés sans pour autant parvenir à s’incarner pleinement, un récit intérieur peuplé d’absents, rugit. L’inaltérable quête de liberté fait face à une autre musique, celle de l’impossibilité du retour et de l’amertume d’une génération conditionnée et élevée dans l’idée de fuite et de rejet d’une patrie opprimée. De là tout un écartèlement irréconciliable, une “schizophrénie” physique et psychique, comme une marque pour la vie. Comme l’est pour Mina son statut de réfugiée politique pour elle qui ne se mêlât que de liberté artistique. Et toujours la pénétrante musique de Siavash Amini revient, qui comme les vapeurs d’opium, semble emplir Mina d’une force émancipatrice. Sa force et son mal s’enroulent en un cri qui monte peu à peu, brisant tous nos acquis, nos privilèges immenses à nous qui qui sommes nés ici et que nous ne voyons même plus. Dans son élan et son tourbillon de paroles, Mina Kavani questionne au passage ce qui vaut le coût du sacrifice et de l’engagement mais aussi la vraie nature du bonheur. Elle nous confronte.
Mina est bouleversante de justesse pour dire l’insupportable état du déracinement auquel des millions de civils se confrontent à cause des politiques liberticides et fratricides imposées par maints et maints gouvernements en ce monde.
Le « mieux ailleurs » ne semble pas encore s’être réalisé et nous ne pouvons que souhaiter à Mina Karvani de triompher sur nos scènes pour que son ailleurs prenne un peu plus les traits « d’ici ».
Touchée au cœur !
rédaction de l’article : Bénédicte Six
Crédit photo : Laura Severi
I’m deranged
Un monologue écrit, mis en scène et interprété par Mina Kavani
Composition musicale Siavash Amini • Scénographie Clémence Kazémi • Création lumière Marco Giusti • Artiste sonore-son Cinna Peyghamy • Régie générale et régie lumière Laurent Etourneau • Collaborateur artistique Maksym Teteruk • Administration-production Christelle Guillotin
Production déléguée : Prémisses.
Production : Grosse Théâtre.
Coproduction : Le Manège – Maubeuge scène nationale I TU-Nantes scène jeune création.
Aides à la résidence : Montévideo-Marseille I Le Manège – Maubeuge scène nationale I TU-Nantes.
Avec le soutien du Conseil Régional des Pays de la Loire.
Durée : 1h
du 12 au 22 octobre 2023
Théâtre de l’Athénée
Salle Christian-Bérard