Zoo Story – Théâtre de Poche-Montparnasse

De l’auteur américain Edward Albee (mort en 2016), on connait d’abord en France sa grande pièce à succès : « Qui a peur de Virginia Woolf ? ». Ecrite 5 ans avant, « Zoo story », évoquera peut-être un souvenir à ceux qui se souviennent des monstres de théâtre qu’ont été Laurent Terzieff (dont on ne doute qu’il a dû faire un Jerry effrayant) et Michael Lonsdale. Ils interprétèrent la pièce en 1965, au théâtre Lutèce et à l’écran. Passer après eux, c’est s’inscrire dans la lignée d’un grand duo d’acteurs et, grâce à leur complicité évidente, Sylvain Katan et Pierre Val y parviennent avec aisance !

Dans cette pièce, qui prend comme cadre un coin reculé de Central Park, un homme à “l’air heureux” s’offre un moment de quiétude sur son banc, laissant à distance l’empressement et les responsabilités de sa vie new yorkaise.

Soudain, un homme préoccupé surgit et entame avec lui ce qui prend tout d’abord les apparences d’une conversation, certes un peu incongrue, mais de convenances tout de même. Puis très vite, l’échange dérape en interrogatoire. “L’homme préoccupé” veut en savoir plus sur “l’homme heureux”. De bon cœur, Peter se prête au jeu de Jerry. Puis cette histoire de zoo qui n’arrive pas ou très brièvement. Et entre deux comportements erratiques, l’histoire de Jerry et du chien lève le voile sur son personnage à la fois inquiétant et malheureux, agressif autant qu’esseulé. La situation devient absurde et dérangeante pour Peter, le rire grinçant et la tristesse se bousculant au coin de ses yeux, coup sur coup.

” Il faut bien entrer en relation avec quelque chose. […]”. Dans ce théâtre divertissant qui crie son désarroi du monde moderne, la relation à l’autre est ainsi mise à mal pendant une heure. Edward Albee a doté d’un formidable outil les acteurs qui s’emparent de son texte. Car en effet, il s’agit d’une vraie pièce de théâtre avec des respirations, des silences, de la latitude pour le jeu et l’interprétation. L’auteur joue avec les interprètes de son texte et nous laisse nous, spectateurs, nous délecter de leur jeu. Dans cette version, Sylvain Katan (formé chez les Fratellini et à l’école Jean Périmony) est un Peter affable et bonne pâte à en devenir pathétique. Son jeu subtil s’observe dans sur son regard, s’apprécie dans sa voix. Il fulmine, il rit. Il déploie tout son talent pour dire la palette de sentiment que traversent son personnage face à cet autre être, Jerry, qui l’embarrasse autant qu’il lui fait pitié. Dans le rôle de Jerry, Pierre Val nous fait lui aussi l’effet d’un caméléon, ténébreux, menaçant et manipulateur autant qu’en détresse.

Une très belle heure de complexité humaine… Du rire gêné à la réflexion sur le bien et le mal, tout y passe (…et lui aussi. Mais chut) !

crédit photo : Alejandro Guerrero

rédaction article : Bénédicte Six

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