Quand la seconde surprise de l’amour… S’ouvre sur un soupir !
Sérail où rien ne peut vraiment mal tourner, sous l’œil trépidant mais bienveillant de l’auteur, du metteur en scène et des acteurs, deux personnages se trouvent surpris d’être saisis une seconde fois par l’amour. Depuis la disparition du mari de la Marquise et l’entrée au couvent de l’Angélique du Chevalier, chacun se terre dans un nid d’affliction et trouve chez son voisin un bon compagnon pour partager et entendre sa peine… Mais l’amour entre eux s’en mêle, les plongeant dans un certain embarras.
Par idéalisme et fidélité à leur premier amour, ces deux êtres ont résolu de s’installer dans leur chagrin et de ne plus croiser le chemin de l’amour même quand il se trouve de l’autre côté du jardin. De là des quiproquos prenant racines dans cet orgueil qui éloigne bêtement ce “couple d’amis”. Mais d’affliction en affliction, les deux cœurs du Chevalier et de la veuve éplorée se rapprochent pourtant, inexorablement.
Car ce choc de deux jeunes cœurs se croyant déjà asséchés est sans compter avec nos deux domestiques malicieux et omniprésents, soupirant et intriguant pour leurs maîtres et pour eux-mêmes. Ces valets mettront en échec le mauvais amour propre de leur maître, dont eux ne s’embarrassent pas et se trouvent de fait plus heureux. Lisette et Lubin conspirent. Elle (Suzanne de Baecque) insolente, se mêlant de tout et prenant tout pour jeu avec des mains et un visage expressif, plein de joie et de dévouement innocent. Lui (Thomas Blanchard) singeant son Chevalier et se moquant du “pédant” Hortensius (touchant Rodolphe Congé) chassé par l’amour d’une maison dans laquelle Sénèque n’a plus droit d’entrée puisque « les passions ne savent pas lire ».
« Je ne savais pas l’amitié si dangereuse. » dira enfin la Marquise.
Avec tendresse, dans une langue du contournement et du glissement du verbe « aimer », Marivaux nous le clame avec génie : le chagrin part et la vie continue ! C’est dans cette auto-dérision toujours palpable, jouant avec nous, que les acteurs rendent les personnages de la Marquise (Georgia Scaliett, boudeuse et capricieuse à souhait) et du Chevalier (Pierre-François Garel, sincèrement tourmenté et fièrement ridicule) à la fois vains et touchants.
Pour produire tout cela, Alain Françon s’est entouré d’une troupe bien talentueuse. Si au demeurant toute l’intrigue est déjà dans le titre, cette pièce de Marivaux n’est que subtilité de langage : rien d’étonnant à ce que maître Françon ait fait de la dentelle de ce théâtre bavard pour bien faire entendre chaque glissement de mot. Tout est éclairé et tout éclos grâce au travail préparatoire sur le texte, permettant aux comédiens le lâcher prise, la fluidité au plateau où survient le comique de leurs gestes libres et généreux.
Pour bien laisser les mots résonner, décors et costumes restent sobres. Beaux mais sans parti pris tranché qui renverrait la pièce dans le passé. Un espace et un temps “intermédiaires” comme dit Alain Françon lui-même. La toile dressée au fond représente une forêt aux airs de tableau de Fragonard. Au devant, deux demeures se font face, séparées par un bassin central dans lequel le comte (le très distingué et très infortuné Alexandre Ruby), rejeté, se penchera songeur tel Narcisse.
A bien y regarder, cette pièce porte autant sur les tourments imaginaires qui souvent nous compliquent la vie, sur l’amour, la fidélité à nos premiers amours et premiers idéaux mais aussi sur le passage du temps qui souvent adoucit tout.
Le magnifique et véritable papillon orange qui traversa le plateau dans une apparition furtive fût comme une évidence. A croire qu’il fait partie du spectacle…
Un délicieux marivaudage servi par des comédiens inspirés et une mise en scène virevoltante !
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez
Pour relire mes entretiens avec Alexandre Ruby et Pierre-François Garel à l’occasion d’anciennes productions, suivez les liens !
Un Ruby au théâtre de la ville
Penser Molière ci-Garel-Te à la main