« Utzbach ». C’est déjà pour Bruscon l’enfer que de se retrouver à jouer à Utzbach, village paumé d’Autriche où tout n’est que poussière, humidité et inhospitalité. Arrivé pour donner une représentation de sa comédie grandiloquente « la roue de l’Histoire » avec ses compagnons de scène qui ne sont autres que femme et enfants, Bruscon s’indigne de tout et déclare détester le théâtre.
Bruscon est tyrannique, misanthrope et misogyne jusqu’à la moelle. « Quand elle parle, on remarque que son père était maçon » dit-il de sa femme et partenaire de jeu. Mais il a beau la fustiger, Bruscon tient la scène dans un presque monologue, sans jamais la quitter de peur de la laisser à de plus médiocres que lui. Bruscon est un acteur sans possibilité de jouer et qui pourtant ne se voit pas faire autre chose que de tenir cette scène, aussi mal en point, sale et décrépie soit-elle.
L’affiche est à l’image du spectacle. Tout est empêché, tout brûle par la médiocrité du lieu dans lequel doit se produire la troupe familiale. Mais le texte de Thomas Bernhard n’est pas non plus dénué d’humour noir et quelques rires fusent durant la représentation.
La scénographie de Christophe Perton et Barbara Creutz est une reproduction du décor du théâtre qui interpelle. En effet, la mise en abîme fait que le spectateur ne sait plus très bien à quelle distance il se trouve des acteurs et du jeu.
Par ailleurs, j’ai été scotché par le jeune Jules Pélissier tout à fait étonnant dans son rôle presque muet mais pourtant éblouissant de fils. Tatouages, short baggy et cheveux blonds oxydés : un « anti-talent » pour son père. Pourtant par sa présence tout en souplesse, ses micro-expressions de visage et la grâce de ses mouvements, il réussit à donner une épaisseur et une intensité à son personnage. Il a quelque chose de l’évasion dans le regard qui ne tient qu’à son talent. Ce jeune-là est touchant dans son désir silencieux de s’échapper de l’enfer paternel.
En définitive, c’est une pièce qui fait son chemin après qu’on a quitté le théâtre. Il est vrai aussi que le rôle de Bruscon est si bien interprété par André Marcon qu’on ne se rend pas compte de de tous les écueils qu’il a su éviter pour ne pas rendre son personnage tout à fait détestable!
Crédit photo : © Fabien Cavacas