Quelle pépite que « L’interlope » au studio de la Comédie Française!
Intriguée par ce mot que je ne connaissais pas, j’ai pris ma place par curiosité, avec la vague idée d’aller voir un cabaret comme le dit « Cabaret » et son « Wilkommen, Bienvenue, Welcome » ! Je savais donc seulement que le répertoire était celui de l’entre deux guerre et que Serge Bagdassarian en était le concepteur, metteur en scène et acteur (rien que ça).
La salle s’assombrit, Elliot Jenicot et Stéphane Varupenne se faufilent dans une salle comble pour s’installer à côté de moi sur les marches pour voir leurs camarades jouer. Le rideau s’ouvre et les tableaux de la première partie s’enchaînent.
Quatre acteurs de talent, tous travestis, viennent se présenter tour à tour dans le couffin de la loge où chacun d’eux se transforme pour la scène. Michel Favory d’abord, figure du vieil homosexuel usé et bloqué dans un temps de volupté révolu, superbe sur ses talons et ressemblant, à la barbe près, à une vieille veuve éplorée. Son air absent et désincarné est très réussi. Vient ensuite Véronique Vella, petit corps à la voix puissante, femme directeur de revue née dans le mauvais corps et qui se change d’un smoking à l’autre en nous expliquant l’histoire de comment elle est devenue le patron. Entre en scène par sa suite une sorte de geisha effilée dans un grand peignoir de soie qui n’est autre que Serge Bagdassarian. La métamorphose est d’autant plus frappante qu’on gardait l’image du S. bagdassarian en surpoids. Sa nouvelle allure lui permet de révéler une autre facette de son talent : ses gestes félins, sa démarche engageante, son regard coquin…Cette femme là est à des kilomètres de l’Oronte précieux et fardé qu’il incarna dans le « misanthrope » de Clément Hervieu-léger ! Dans cette cascade de surprise et d’éblouissement, le jeune Benjamin Lavernhe sans sa barbe, fait une entrée fracassante. Son personnage sent l’ambition, le sarcasme et l’impertinence de la coqueluche qui, au sommet de sa gloire, dénigre les autres artistes de la revue. Ses gestes aussi féminins que provocateurs, nous font découvrir son habileté à passer pour une femme. Quel performance d’acteur !
Les présentations ainsi faites, la deuxième partie lance la revue. C’est un vrai régal de voir ces quatre larrons chanter de leurs belles voix bien accordées, s’amuser sur scène avec leurs tenues extravagantes et leurs plumes à foison. Les chansons s’enchaînent, drôles et cruelles sur le thème de l’homosexualité. A côté de moi, Elliot Jenicot jubile et rit à gorge déployé. Je n’arrête pas d’ouvrir grand les yeux, émerveillée par le talent immense de ces acteurs caméléons qui passent du cinéma grand public (B. Lavernhe dans le « goût des merveilles » en 2015) à la tragédie (M. Favory dans « Roméo et Juliette ») ou au répertoire classique (S.Bagdassarian « le misanthrope ») en un coup de baguette magique.
La salle rit et se laisse guider pendant 1h15 dans cette ambiance de cabaret transformiste en oubliant tout le reste, on ne sait plus détacher nos yeux de la scène. A mon avis, lorsque des acteurs nous font jusqu’à oublier où l’on se trouve, le succès de la pièce s’impose de lui-même ! Somme toute : un grand moment de liberté passé en compagnie d’une troupe haute en couleur !