Federico Garcia Lorca est un dramaturge et poète exigeant. Pour bien l’interpréter, il faut trouver le moyen de « donner corps», d’incarner son univers : c’est l’objectif visé par la compagnie de La Grue Blanche dans « Noces de sang ». A ce fait un parti pris intelligent a été développé: sur une idée de Maiko Vuillod, Natalie Schaevers a travaillé sur une mise en scène incluant le tango argentin, les chants et la musique aux “Noces de Sang” de Lorca.
Inspiré d’un fait divers, l’intrigue est aussi sordide que simple à résumer : dans l’Espagne de l’entre deux guerres soucieuse des traditions, un jeune couple célèbre ses noces mais la jeune mariée s’enfuit avec son amant pendant la fête. Le fiancé humilié les retrouve et les deux hommes s’entretuent, versant leur sang orgueilleux sur la terre aride de leur aïeux.
Comme dans « La maison de Bernarda Alba », Lorca parle du peuple andalou, de leur fierté, de l’étouffement de cette société rétrograde, de cette Espagne conservatrice qui le fait souffrir. Les vieilles y sont des cerbères (belle prestation d’Hélène Hardouin), les hommes des êtres piégés et impulsifs : personne n’y est heureux. Les masques grimaçant façon comedia dell’arte sont là pour nous le rappeller tout comme les allégories de la Lune et la Mort que Lorca fait entrer dans la ronde tels des elfes du songe d’une nuit d’été. Seul le chant va libérer un peu leurs âmes du labeur et les quatre acteurs accordent leur timbre pour ne former plus qu’un.
Il y a également quelque chose de très charnel et de viscéral chez Lorca qui justifie le tango : c’est cette relation à la pulsion de mort/ pulsion de vie que j’ai retrouvé à travers le tango des deux rivaux, le fiancé et l’homme aimé. Il y avait ce quelque chose de la lutte et de la tension propre au tango qui donne corps au monde de Lorca et ce mélange des arts porte le texte avec finesse.
En définitive, je suis ressortie avec l’envie d’acheter le texte de la pièce et l’envie de revoir le très beau film « Ultimo Tango » (portrait d’un couple légendaire du tango agentin : Juan Carlos Copes et de Maria Nieves Rego). Du théâtre accessible qui crée des liens, jette des ponts entre les arts. C’est très bien!