Pelléas et Mélisande – Odéon Atelier Bertier

Vaste scène. Salle remplie.

Une pointe de curiosité en allant découvrir la pièce de Maurice Maeterlinck, rarement montée comparé à la version opératique de Debussy. Transposition du mythe de Tristan et Yseult, l’intrigue de Pelléas et Mélisande est au demeurant assez banale : un triangle amoureux se forme et une rivalité naît entre deux demi-frères d’une même famille royale. Le jeune Pelléas aime la femme de Golaud et Mélisande semble l’aimer en retour. La jalousie s’en mêlant, l’histoire tourne mal.

Mais avec quel texte et quelle finesse de mise en scène !

D’entrée de jeu, une ambiance étrange s’installe. Un écran tombe devant nous et Golaud (Vincent Dissez, vu en 2019 dans le Pays Lointain), perdu, rencontre Mélisande (Alix Riemer) dans la forêt. Ne sachant pas d’où elle vient, il l’emmène et la prend pour épouse. Une fois de retour dans son royaume, Golaud présente la jeune mariée à sa famille et à Pelléas. Tout au long de la pièce Mélisande reste une énigme, une vision de femme éthérée dont on ne sait rien.

Des scènes comme des paravent chinois laqués ou du théâtre de nô s’enchaînent sur ce décor à double fond qui se module de proche en loin, évoquant une fontaine, une grotte, un château. « Vous devez savoir mieux que moi les événements que vous devez offrir à votre être ou à votre destinée. » déclare le roi Arkel (joué par l’excellent Philippe Duclos). Une certain noblesse émane du jeu des personnages, portée par ce langage à la fois ténébreux et solennel du symboliste Maeterlinck. On s’attache à tous les personnages et le vaste espace des ateliers Bertier sied bien à une telle mise en scène. Il sert de caisse de résonance à du non vécu, des paysages intérieurs qui existent dans les cœurs sans se dévoiler, affleurant mais n’arrivant jamais à l’acte. Il n’y a pas de dieux comme dans les drames antiques mais l’on sent bien que des liens invisibles dirigent tout pareillement les personnages de cette pièce.

 

Ainsi Golaud se met à jalouser son demi-frère, à interpréter les silences de sa femme sans jamais rien voir d’illicite entre eux. La vérité du rapport entre Pelléas (Matthieu Sampeur) et sa femme Mélisande lui échappe car il ne surprend rien. « Tu pleures de ne pas voir le ciel » dit Pelléas à Mélisande et c’est autant de suggestion et d’offense pour nourrir le doute et la folie du mari. L’inaction et l’attente de la faute le rongent.

Dans cette aura d’étrangeté et d’onirisme si bien rendue sur scène, les acteurs se tiennent droit, dignes et mystérieux. Leurs gestes sont suspendus et maîtrisés. Quelque chose de l’ordre de l’épopée se dégage : on devine l’interdit, l’honneur, la trahison et le châtiment. Il y a dans le travail de Julie Duclos une esthétique qui fait l’éloge de la lenteur et parcourt le plateau, participant à ce sentiment de drame et de tragédie. Des lumières en clair-obscur et de la musique aussi, ou plutôt des brimes sonores, peuplent la pièce.

Le tout est captivant, toujours en tension. Le jeu atteint son paroxysme dans la scène de l’étreinte de Pelléas et Mélisande à la fois enfantine, émouvante et pure. Le texte de Maeterlinck par maintes fois est éclairé de la beauté du dire. Tout s’achemine vers la vengeance et pourtant tout reste calme, feutré. La charge de silence résonne : une fin approche, inexorable. Comme le dit Julie Duclos, Pelléas et Mélisande est une œuvre à la fois « poétique et spirituelle », « suscitant des visions » que son art du montage, de l’écriture de plateau et de la suggestion ont su sublimer sur les planches de l’Odéon.

Un moment d’évasion, porté par une distribution parfaite qui met notre imagination de spectateur en émoi.

Crédit photo : ©Simon Gosselin &  ©Christophe Raynaud de Lage

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