Quartett – Théâtre de l’Epée de Bois

Difficile de se détacher de la lecture du roman épistolaire de Choderlos de Laclos et des interprétations légendaires de John Malkovich et Glenn Close dans l’adaptation cinématographique de Stephen Frears (1988).

En 1980, plaçant l’action dans « Un salon d’avant la Révolution française. Un bunker d’après la Troisième Guerre mondiale », Heiner Müller en fait pourtant autre chose, comme une réinterprétation, un huis-clos où se rejoue l’action des Liaisons Dangereuses avec des variations et sans les victimes qui seront jouées par le duo infernal qui seul reste : Merteuil-Valmont.

Dans cette antimorale, le marquis de Sade n’est pas loin et la cérémonie baroque à laquelle nous assistons se déroule dans un décor énigmatique. La salle de l’Epée de Bois confère à la pièce une aura de salon de curiosité, ou d’arène…

L’affrontement à tour de rôle brouille les pistes, Merteuil ouvre le bal puis Valmont réplique. Merteuil joue Valmont qui joue La Tourvel. Valmont reprend son rôle et laisse Merteuil devenir Cécile de Volanges. Dans ce jeu de dupe se forme le « Quartett » imaginé par Heiner Müller entre les proies et les prédateurs.

Le rythme lent de ces différents tableaux fait ressortir le côté sadique de ces deux libertins oisifs et vieillissants. Ils savourent, ont le contrôle, se jouent des mots et s’infligent des maux. Les costumes de Laurence Chapellier, qui laissent deviner la chair et indiquent les glissements de rôle, sont également importants en ce qu’ils participent du travestissement des âmes.

Sans être prude, la crudité un peu gratuite de certaines scènes et de certaines tournures m’ont paru s’éloigner de la logique implacable que l’on trouvait formulée dans le texte de Laclos dans une langue précieuse et tout en suggestion, dont on jouissait d’apercevoir le double sens. Il y a quelque chose de gratuit dans « Quartett », comme une complaisance pour la perversité des personnages à laquelle il vaut mieux être préparé. Au 18eme, trouver une femme perverse en littérature était une nouveauté mais fin 20ème, le texte de Müller résonne différemment.

N’est pas un libertin du XVIIème ou XVIIIème siècle qui veut ! Pour un public adulte et connaisseur de l’œuvre de Laclos afin de pouvoir goûter au texte de Müller et en savourer toute la réinterprétation.

Une bonne mise en scène et un jeu d’acteur soigné par le charismatique Patrick Schmitt et l’épineuse Emmanuelle Meyssignac mais sur un texte contemporain qui m’a laissée, il faut l’avouer, un peu de marbre.

Crédit photo : Chantal Depagne /Palazon

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *