La Cerisaie – Comédie-Française

Après une errance à l’étranger, une sœur et un frère propriétaires terriens rentrent dans leur domaine en Russie… juste à temps pour le perdre. La belle “Cerisaie” qui habite tous les esprits est sur le point de finir dans les mains d’un nouvel acquéreur au grand dam du fils de moujik Lopakhine, devenu homme d’affaires et proche de la famille, qui finira par s’en porter acquéreur lors de la vente aux enchères.

Dans le tourbillon du retour, tout va au départ trop vite. Les retrouvailles font virevolter les personnages, chacun cherchant à retrouver sa place au sein de la maisonnée puis petit à petit l’effervescence retombe et laisse place au doute dans l’attente de la vente de la Cerisaie.

Sans savoir exactement l’expliquer, je retrouve dans cette pièce le tempérament nostalgique du metteur en scène qui s’en empare, Clément Hervieu-Léger. On retrouve sa cérébralité magnifiant les textes avec délicatesse, sans exacerbation. La superbe et réjouissante scène de danse, lorsque le décor de la Datcha s’ouvre comme une boîte de poupée, fait comme un clin d’oeil à une autre farandole de troupe entamée dans sa mise en scène d’ ”Une des Dernières Soirées de Carnaval” de Goldoni (mise en scène saluée en 2020 par le Grand prix du théâtre du Syndicat de la critique)

Dans un des rôles principaux, le toujours jeune premier Loïc Corbery rayonne. Clément Hervieu-Léger sait vraiment bien diriger son ami qui jouait déjà dans son “Pays Lointain”, son “Misanthrope” ou encore son “Petit-Maître corrigé”. On retrouve d’ailleurs au générique un grand nombre d’artistes qui collaborent très souvent avec la Compagnie des Petits Champs et Clément Hervieu-Léger : Pascal Sangla signe la création musicale, Aurélie Maestre à la scénographie, Caroline de Vivaise aux costumes, Bertrand Couderc aux lumières (on ne change pas une équipe qui gagne !)…

Si cette pièce est si attachante, c’est aussi parce que la dernière oeuvre de Tchekhov a quelque chose de ce sentiment que tous, nous connaissons : le rapport à “la maison” comme une parent, un socle qui permet de maintenir le monde droit sur son axe. De fait, la pièce a aussi quelque chose de cinématographique et fait penser à “un conte de noël” d’A.Desplechin. Sa langueur évoque aussi “La Dame de la mer” d’Henrik Ibsen. Le décor de la Datcha et les costumes “de ce temps là” (comprendre indatable) participent de cette sensation de familiarité et de proximité.

En Lopakhine, Corbery est le seul qui semble véritablement toucher le sol – les autres, aristocrates ruinés sont bloqués dans la splendeur de leur passé révolu. Lioubov paraît labile (Florence Viala), son frère gravite autour comme une courtisan privé de sa cour (Eric Génovèse). Il y a deux camps dans cette partie et il s’opère comme un glissement d’une génération à une autre, d’une Russie à une autre. A ce titre, la scène dans laquelle Lioubov plaide l’indulgence auprès de Trofimov (l’éternel étudiant, incarné par Jeremy Lopez) qui ne laisse échapper aucune des erreurs de ses aînés est bouleversante. Dans l’autre camp les êtres intemporels comme Varia (Adeline D’Hermy), attachés plus à sa terre et ses racines qu’aux mouvements de son époque. Notons la présence de Michel Favory, exquis dans le rôle du fidèle serviteur Firs regrettant la fin du servage et la belle performance du reste de la troupe, Sébastien Pouderoux en fou, Anna Cervinka en jeune servante, Julien Frison en laquais à la mode, Nicolas Lormeau en voisin importun.

Il n’y a en définitive plus de hiérarchie dans cette société et tous sont perdus. La terre, les souvenirs, la Cerisaie. Une terre rentable pour la vendre en parcelle aux estivants : le camp du changement finit par triompher, les propriétaires déchus refont bagages. 

Un classique de belle facture !

Photo Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

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