La Duchesse d’Amalfi- Théâtre de la Passerelle (Scène Nationale de Saint-Brieuc)

Quelle pièce et quelle distribution !

Je continue cette année mon exploration du siècle de Shakespeare en partant à la découverte de ses contemporains. Après « La vie est un Songe » de Calderón, c’est au tour de « la duchesse d’Amalfi » de John Webster de passer au crible. Je découvre ce texte avec d’autant plus de joie que je retrouve pour l’interpréter un duo d’acteurs repérés récemment : Eléonore Joncquez qui interprète la duchesse (vue dans « Soyez vous-même » au off 2018) et François de Brauer dans le rôle d’Antonio (vu dans « la loi des prodiges » au Petit Saint-Martin).

En un mot, la pièce raconte les représailles que les frères de la duchesse font s’abattre sur elle à l’annonce de son remariage secret avec son comptable Antonio. Honneur, patriarcat, guerre de lignage et amour s’entremêlent pour faire advenir le malheur de celle à qui le bonheur conjugal sera âprement reproché.

Il plane sur cette pièce un esprit élisabéthain noir et vengeur. La langue de Webster est rugueuse et sanglante comme l’action qu’elle raconte. On humilie et meurt sur scène. Les scènes d’exécution ne peuvent d’ailleurs laisser aucun spectateur indifférent au sort des personnages. Sans lyrisme romantique et sans tout l’attirail fantastique de Shakespeare, le texte de Webster n’en reste pas moins poétique dans la bouche des amoureux et dur dans sa dénonciation des vices humains.

Pour porter cette tragédie, la distribution impeccable : les acteurs ont tous une maîtrise de la noirceur ou de la douceur de leur personnage qui rajoute à l’ambivalence inquiétante de l’histoire. Jean Alibert surtout est éblouissant de perversité dans le rôle du bourreau Bosola, élégiaque et trivial à la fois. Dans le rôle du frère incestueux, Thibault Perrenoud est féroce. Tout chez lui appelle le sang, la violence et le crime. Moins nerveux, son frère le cardinal n’en apparaît pas moins débauché (Nicolas Pirson). Dans le rôle des serviteurs Lola Felouzis et Baptiste Dezerces sont également excellents. Preuve du brio des comédiens, une intonation, une saillie, une pantomime, une exagération et c’est soudain le rire qui jaillit de la salle. Tout dans le jeu est sous contrôle et d’une finesse remarquable. Les interludes musicaux donnent une dynamique et un rythme à l’action qui nous tient en haleine et les costumes élégants font la part belle à un imaginaire d’époque.

La mise en scène  de Guillaume Séverac-Schmitz aurait pu tomber dans de nombreux écueils du théâtre contemporain mais ici les micros sont savamment utilisés, tour à tour porte voix du « chœur » et écho des âmes persiflantes des deux frères royaux. Les panneaux coulissants modèlent l’espace en créant une coulisse en milieu de scène, donnant lieu à des entrées en scène originales. Les néons et les lampes de poche créent une ambiance de clair-obscur qui évoque les secrets de la cour.

Du théâtre de haute volée. Ca claque !

crédit photo: Bénédicte Six

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