L’échange.
Côte est américaine sur la propriété d’un riche homme d’affaires, Thomas Pollock Nageoire, abritant chez lui deux enfants ayant récemment fait vœux de mariage. Dans une journée dont nous suivrons le cours, le jeune Louis Laine acceptera un échange en abandonnant sa femme à Thomas pour une liasse de billets et en la trompant avec Lechy, l’actrice accompagnant Thomas. Marthe, la jeune femme tour à tour convoitée, humiliée, abandonnée et trahie verra en une journée son monde s’écrouler et son mari payer le prix de sa cupidité.
L’échange de Claudel est une pièce cruelle et dramatique. Elle met en scène la vertu d’une jeune femme face au pouvoir de l’argent et de la vilenie. Son “acquéreur” Thomas ne la touchera finalement pas, quémandant seulement à douce-amère un peu de sa présence et de sa compassion.
En milieu de journée, dans sa longue plainte face à nous et au soleil lorsqu’elle comprend son sort, Marthe (Louise Chevillotte) semblerait presque folle si elle n’était la plus sage de ces quatre personnages. Dans le rôle de Thomas et de Lechy, Robin Renucci et Francine Bergé (qui fête ses 80 ans !) resplendissent. Dans sa posture de cow-boy, Renucci est d’abord un roc immoral et répugnant qui ne peut s’empêcher d’acheter ce qu’il convoite puis un homme seul, cherchant le réconfort dans une simple présence. Et Francine Bergé, d’apparence élégante et chantante, est redoutable et venimeuse telle la menthe religieuse qui tue aussi bien ses rivales que ses amants. Leur cynisme noirci par le temps fait pâlir les convictions vacillantes du jeune Laine (Marc Zinga). Laine l’impétueux veut vivre et se sent étouffé par sa douce-amère qui attend de lui beaucoup plus qu’il ne peut en donner. Jeune et sauvage encore, il renie son âme en croyant embrasser de plus grandes opportunités qui l’entraînent à sa perte.
Dans leur manière de faire sonner tous les « e » muets, les quatre acteurs donnent aux phrases un rythme et un reflux animant la langue drue de Claudel. Parfois les images poétiques sont lancées au spectateur, sans contexte et sans rattachements clairs à l’action qui se déroule. Passé le temps de la surprise face à ce double discours (car c’est mon premier Claudel), la pièce en devient intéressante. La langue s’égare parfois en métaphores éthérées mais demandant un effort qui n’est pas vain. Car le spectateur plonge dans ce drame, saisi d’horreur et de pitié face au dénouement tragique.
Pour sa part, la mise en scène de Christian Schiaretti fonctionne très bien. La scène d‘ouverture où se répand le sable sur le plateau est très esthétique et installe d’emblée une certaine gravité. Le dépouillement de la scène animée seulement de jeux de lumière indiquant l’avancement de la journée participe à nous entraîner dans la chute crépusculaire de Laine. Les couleurs au sol, presque fluorescentes, imprègnent la pièce d’un aura surréelle comme un écho aux envolées du texte.
Ne serait-ce une petite faiblesse du côté de Marthe tout ici rayonne en clair-obscur et conspire au désastre de cette journée remplie de vices. La pièce a fait son chemin dans mon cœur de spectatrice, me laissant même assez songeuse… Une claque à retardement !
A voir pour découvrir- ou redécouvrir Claudel- avec de très grands interprètes.
Crédit photo des saluts : Bénédicte Six