C’est une création audacieuse que propose pendant quelques jours le théâtre Montansier de Versailles ! De Rabelais, le commun des mortels comme moi connaît quelques idiomes : Gargantua, Pantagruel, un repas « pantagruélique », « les moutons de Panurge ». N’ayant jamais lu ni étudié cet auteur, c’est à peu près tout le bagage avec lequel je me suis engouffrée au théâtre Montansier. Troupe nombreuse, couleurs chaudes, costumes grandioses : j’ai vite été éblouie, attrapée par les 19 acteurs sur scène et cette fabuleuse histoire de géants. La première partie suit un fil directeur : de la naissance de Gargantua jusqu’à la naissance de son propre fils Pantagruel. Rabelais traite et dessine par ses satires et ses parodies l’éducation de “l’honnête homme”. Malgré la difficile langue gardée en vieux « françois », rude et usitée de tournures aujourd’hui désuètes, cette première partie est plutôt facile à suivre.
Cela dit, ajouter la quête de la dive bouteille en deuxième partie est un parti pris risqué. Ce récit, qui ressemble par plusieurs aspects aux aventures d’Ulysse, risque fort de perdre le public : difficile de ne pas relâcher son attention pendant les 2h40 que durent le spectacle. La densité a cela de préjudiciable au spectacle qu’elle peut faire perdre le fil : j’ai moi-même décroché bien que cette suite soit singulière par la beauté de la mise en scène et de la scénographie (cf photos de cet article). De mon point de vue, un spectacle qui ne garderait que la première partie serait beaucoup plus accessible et pourrait donner envie d’aller lire cette œuvre dans son intégralité.
Les grivoiseries, les fantaisies de Rabelais… Le sens s’effiloche avec l’heure qui tourne et seul reste l’éblouissement de cette troupe, magistrale et talentueuse. Les images sans le son, en somme… Il faut dire que l’univers de Rabelais est en soi-seul un défi et la pièce de Jean-Louis Barrault, ici mise en scène par Hervé Van Den Meulen, s’attelle non pas un, non pas deux mais à cinq des ouvrages du maître!
Venons-en aux acteurs et à la mise en scène. On reconnaît dans ce spectacle de troupe des acteurs assurés, déjà vus pour certains dans des Shakespeare (Aksel Carrez, Ghislain Decléty, Valentin Fruitier). La mise en scène est foisonnante, le rythme soutenu, les changements de décors, de costumes adaptés à la diversité des situations du récit et à son merveilleux. Les chants viennent ponctuer les saynètes et assurer les transitions entre les différents tableaux. Quelques références très actuelles dans la mise en scène (des parallèles avec le dictateur de Chaplin ou encore Dragon Ball Z) aident à créer le rire là ou l’auteur ne fait plus que sourire le spectateur. C’est que nous sommes si loin de lui, de cet Rabelais, qu’il nous surprend sans plus nous faire rire comme il l’aurait sûrement désiré. Mais la troupe est homogène et aide à se sentir à l’aise. Toutefois dans quelques scènes, comme celle de la tempête, ils nous perdent : les mouvements, les bruits, font que nous n’accédons plus au texte et le décrochage devient fatal.
Il faut avoir un appétit d’ogre et une soif intarissable pour se mettre à la table de Rabelais, suivre ce spectacle sans fléchir. Et pourtant, nul ne saurait manquer d’y aller, rien que pour l’univers, rien que pour la troupe, rien que pour la beauté de la mise en scène…. Enfin…. Pour tout ça ! Je prédis un beau parcours au spectacle : le fabuleux, le conte, le merveilleux, l’onirisme sont là même si la longueur de la pièce met à l’épreuve le spectateur !
Une création audacieuse, oui, mais qui serait parfaite en plein air dans une atmosphère d’été et de comédia del’arte… qui sait, au hasard, au mois Molière par exemple?!
A toi public courageux, l’humanisme et l’optimisme de « l’éternel rieur » t’attendent : te voilà prévenu !
crédits photos: Laurencine Lot