Les enfants – Théâtre de l’Atelier

Dans cette satire moderne, la trame d’une histoire qui parait d’abord bien étrange se dévoile en pointillés. Au point de départ Hazel l’amie disparue depuis 38 ans, Hazel, qui s’invite chez Robin et Rose, ingénieurs à la retraite demeurant aux abords d’une centrale nucléaire qui aurait explosé, provoquant un tsunami.

Porté dans un style d’écriture qui fait volontiers écho à la tradition réaliste du théâtre de Pinter (l’humour, les dialogues entrecoupés de silence) ou au théâtre de l’absurde Becket (Un soir on ne sait pas où ? Le non-espace comme chez Beckett), le lourd message apporté par Hazel parait d’abord insensé. Mais en même temps quelque chose nous murmure à l’oreille que ce n’est peut-être plus que « théâtre » et que les cas de conscience de ces boomers devenus vieux sont bien plus réalistes qu’il n’y parait alors que nous voyons nous-même poindre une crise de l’énergie. Dans un malaise grandissant, on se sent étrangement concerné et familier de leur situation qui se dévoile petit à petit.

Avec cynisme et humour noir, l’auteure anglaise Lucy Kirkwood vient ainsi titiller nos idéaux sous une apparence de fausse légèreté. Pour faire monter la tension, les mots sont comme peints en clair-obscur, on répète d’abord les pensées les moins dure, les mondanités avant que faire accoucher l’essentiel : la chaine brisée du la croyance dans le progrès et la fin de nos idéaux collectifs. Nos trois personnages sont bien mal armés contre la catastrophe climatique dont Hazel les tient en partie responsable et tentent chacun de trouver leur chemin. Hazel qui vit seule, a décidé de se sacrifier et d’y retourner pour prendre la place des jeunes exposés aux radiations et vient effrontément demander à ses anciens collègues de faire de même. « C’est difficile de vouloir moins » dit Rose (caractérielle Cécile Brune) qui refuse farouchement : c’est maintenant qu’elle peut profiter. Robin (touchant Frédéric Pierot), lui, croit d’abord qu’Hazel (imperturbable Dominique Valadié) est revenue pour l’enlever à sa femme en souvenir de leurs jeunes amours. Comprenant qu’il n’en est rien, défait et tourmenté, il se laissera tenter.

Le metteur en scène Eric Vigner, à qui l’on doit de porter à la scène pour la première fois à Paris cette écriture après son succès à Londres et à Brodway, ne nous laisse pas en reste et imagine un décor des années 70 empreint de symbolique. L’ambiance y est crispante, anxiogène. Malgré tout le rire se fraie un chemin. Car nos trois interprètes équilibristes restent sur le fil, puisant tantôt dans le tragique tantôt dans le comique de Lucy Kirkwood. La jeune auteure montre cette même rage-courage qu’une autre de ses compatriotes Kate Tempest et par son intelligence de jeu cette distribution nous offre toute la palette du texte. Comme un parfum qu’on aère pour faire monter ses arômes les acteurs s’emparent de toutes les nuances pour nous peindre avec une infini précision leur doute, leur courage et leur cas de conscience face à cette responsabilité d’une génération envers la suivante.

Ni moralisateur ni inquisiteur, Lucy Kirkwood signe une pièce engagée mais surtout soucieuse et sans réponse toute tracée face aux nouveaux défis. Son écriture respire l’intelligence. Comme dit Dominique Valladié sur France Culture « on demande au public de se réveiller ».

Une interprétation magistrale et dans laquelle on ressent volontiers le plaisir de jouer ensemble de ces trois monstres des tréteaux. On n’aurait pas rêvé mieux pour faire découvrir ce texte très novateur : cela fait longtemps qu’une intrigue ne m’avait pas paru si neuve et en même temps si chargée des préoccupations de notre temps !

A voir sans hésiter.

Crédit photo : Pascal Gely
Rédaction article Bénédicte Six

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